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 Le prix du silence

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MessageSujet: Le prix du silence   Le prix du silence EmptyMer 17 Fév - 0:56

Nikita s’empara de l’enveloppe et ne dit pas un mot de plus que le hochement de sa tête ne saurait transmettre. La vieille femme qui se tenait juste derrière elle afficha momentanément un visage crispé puis se détendu très rapidement. La main du jeune homme se souleva avec discrétion et l’enveloppe, elle, avait disparu sous l’ombre de sa paume. Il sourit. De petites et sordides dents blanches apparurent dans l’obscurité de la petite pièce. Le visage de la vieille femme se crispa à nouveau.

[Nikita] – Vous ne m’aimez pas, Shishiko ?

Elle cligna docilement des yeux et baissa la tête.

[Shishiko] – Si, bien sûr. Bien sûr, Niki.

Le sourire du jeune homme s’étendit largement jusqu’à pointer au bout de ses oreilles.

[Nikita] – Alors, il y a quelque chose que j’ai fait et que vous n’appréciez pas, n’est-ce pas ?

[Shishiko] – Ils … Ils …

Nikita ferma sèchement sa veste et rabattit sa capuche sur ses cheveux. Il s’approcha dangereusement de la bonne femme, que l’âge avait faite toute recroquevillée sur elle-même. L’âge, et la peur.

[Nikia] – Ils n’étaient que des enfants des salauds. Ils méritaient la mort.

Leurs deux visages restèrent quelques temps collés l’un à l’autre. Shishiko pouvait sentir son souffle mauvais lécher son visage, son regard perçant et nauséabond lire en elle comme dans un manuel pour enfant et pire que tout, elle devinait cette poigne puissante et vive qui montait le long de son cou. Bientôt, ce ne fut plus qu’une image. Nikita serra, fort. Très fort. Elle n’échappa pas un cri, ses amygdales étaient douloureusement muettes, tues par les deux doigts qui s’enfonçaient dans sa gorge. Toutes sortes d’idées traversèrent son esprit. Il la violerait. C’était un enfoiré, il aimait faire ce que personne d’autre n’avait le courage de s’avouer possible : laisser s’exprimer toute la bestialité de l’homme. L’homme est mauvais avait-il répété plusieurs fois pendant qu’il découpait les parties charnues de leur corps. L’homme est foncièrement mauvais, Shishiko.

Shishiko … Shishiko … Tu es mauvaise. Comme toutes les autres salopes.

Elle s’effondra. Nikita baissa les manches qu’il avait relevé le temps de terminer ce qu’il avait commencé et ainsi éviter que ses manches ne saignent elles-mêmes du sang de ses victimes. Du sang, tellement de sang. Il n’en revenait toujours pas de sa couleur rouge. Nikita avait appris qu’il en existait des centaines de teintes différentes. Il l’avait appris au fil du temps, au fil des massacres, au fil des corps qui tombaient à ses pieds et qui ne se relevaient jamais. Les yeux injectés. De son sang. Lentement, il s’échappa de lui-même. Il s’échappa de cette masure, perdue au nord du pays. Il s’échappa de ce bain sordide, glauque. Cette sensation de puissance et de contrôle lorsqu’il ôtait la vie d’un homme – il en avait la main mise, une main mise totale – et d’avoir peur de lui-même, peur de son œuvre. De la science dans laquelle il évoluait. Shishiko savait. Elle le connaissait. Juste assez pour savoir qu’il ne la tuerait pas. Pas aujourd’hui.

Nikita ne tuait que des hommes mauvais. Son sourire argenté ruisselait du malheur de ce monde. Il y en avait tant. Peut-être était-ce pour cette raison pour qu’il tuait sans aucun remord. Qu’il tuait si souvent, d’ailleurs.

Il posa doucement sa main sur la poignée de la petite porte de bois. Il ne se retourna pas, mais Shishiko sentait son regard traverser les murs d’obscurité, la chape de poussière qui s’était soulevée lors de la scène, son propre crâne. Elle lisait en lui aussi bien qu’il lisait en elle, finalement. Il était si prévisible et aléatoire à la fois, bien qu’il n’admette jamais que le deuxième qualificatif. Il y croyait aussi solidement qu’il considérait son œuvre pure et juste. Puis, cette sensation se dissipa. Comme un enfant, il appuya sur le petit appendice de métal froid. Le cliquetis de l’engrenage rompit le silence insoutenable et le laquer s’ouvrit. La porte s’entrebâilla, la lumière perça de quelques rayons l’intérieur de la chaumière, juste assez pour que Shishiko puisse apercevoir son grand pantalon noir et ses deux chaussures à lacets. Pas encore pour transpercer ce rempart de saletés qui voletaient dans l’air, libres. Il ressemblait à un gamin. Sa tête s’était vidée, aucune pensée ne s’en échappait, parce qu’il n’y en avait aucune. Son sourire devint niais, sa marche agréable et son regard se porta sur les collines, plates et silencieux, qui s’étendaient au loin sans aucune écharde de la même manière qu’un candide constatait la beauté de ce monde ; avec une certaine appréhension ; avec une intense dose d’émerveillement. Shishiko restait muette devant l’enfant qu’elle retrouvait, celui qu’elle avait perdu il y a seize ans. Nikita poussa finalement la porte et posa son pied sur l’herbe humide qui dansait sous un râle frais. Il alluma une cigarette et s’enfonça dans les steppes. Shishiko cria. La lumière avait eu raison de l’obscurantiste voile qui était tombé sur la pièce. Encore sonnée, à terre, sa gorge s’était finalement déliée et son regard s’était naturellement porté sur les tripes d’un des deux hommes qui chatouillaient ses pieds.

L’enveloppe glissa dans sa main. Un sourire concentré qui ne ressemblait absolument plus à celui, psychotique, de la veille, se dessina sur son visage. Lentement, Nikita prit soin de cacher ses mèches rouille sous sa capuche et continua de marcher sur un petit chemin de terre qui séparait d’immenses prairies, parfois vertes, parfois jaunes. Plus souvent jaunes que vertes, pensa-t-il mollement. Le soleil ne tapait pas à sa convenance. Une lourde chape nuageuse le retenait prisonnier hors du monde humain et donnait à cette toile verdâtre un semblant de tristesse dont le jeune homme se serait bien passé. D’un claquement de doigt, il rompit l’ouverture du morceau de papier et sortit tranquillement les quatre feuilles qu’elle contenait. Il parcourut les trois premières d’un bref trait rapide du regard et s’arrêta enfin sur la dernière. La carte n’était pas réellement explicite, elle indiquait surtout des lieux à quoi on avait donné des noms dont l’histoire n’avait pas retenu la logique. Mais il avait juste besoin de savoir vers quel court d’eau il devait marcher, quel parti du levant il devrait montrer le lendemain matin. Il se redressa et étendit ses bras vers le ciel. Le même sourire satisfait parcourut son corps et il reprit sa longue marche.


***


C’était un petit village assez misérable. Presque injurieux. Les passants, la plupart mendiant, n’imploraient aucune pitié malgré leur manque certain de confort et leur pauvreté extrême. On avait simplement envie de leur casser une troisième fois la mâchoire, de les injurier et de leur cracher au visage, comme l’on fait à de vulgaires chiens mal dressés. Nikita n’avait d’yeux pour ces gens-là, mais leur odeur ne pouvait les tromper. Elle remontait jusqu’à ses narines sans qu’il ne puisse les fermer. Il était interdit à cette sensation de dégout et de haine envers ces gens, bien qu’aucune de ses pupilles marbrées ne se tournent contre eux. Les planches de bois qu’on avait jetés sur le sol le long des murs de pierre dégoulinant de mousse et de graisses servaient de trottoirs à ce que la gerbe servait de pluie. L’urine empestait chaque coin de rue et il n’était pas rare qu’elle se mêle aux canalisations qui desservaient les masures en eau potable. Nikita n’avait aucune idée réelle du lieu qu’il cherchait. Il savait simplement qu’il le trouverait, parce qu’il avait toujours eu du nez pour ce genre de choses. Sauf peut-être avec les femes. Il regardait indistinctement les toitures et les nombreuses cheminées qui les trouaient, sans se soucier vraiment de sa destination. Il trouverait, c’était ainsi. Il lui suffisait d’avancer sereinement dans cette immondice et lorsqu’il déciderait de s’arrêter, il trouverait. Cette sensation remontait à un passé qu’il voulait révolu, où le seul objectif qui luisait en lui aveuglait tout le reste. Pourtant, il était vouer à vivre pour quelque chose. Nikita ne servait pas ce monde pour son simple plaisir, il avait ses raisons. Et la majeure partie du temps, il en avait de très bonnes.

L’auberge lui apparut plus difficilement qu’il ne l’avait imaginé. Peut-être parce que ni son toit, ni ses murs, ni même l’odeur nauséabonde qui en émanait ne se différenciait de toutes les autres coquetteries populaires qui l’entourait. Mais il trouva. Il s’était fié à l’odeur de l’alcool qui était devenu subitement bien plus prononcée. Et puis, très certainement aux grands cris qui terrassaient le silence. Une bouteille cassée traversa une vitre déjà bien abimée et devint l’un des premiers acteurs d’un jeu très prisé que des gamins venaient d’inventer sur le champ. Il haussa un sourcil et poussa la porte de la taverne.

Lentement, il s’avança jusqu’au comptoir. Quelques têtes se tournèrent vers lui, mais se rabattirent aussitôt. Des regards commencèrent à voler, bientôt de nombreux autres s’y joignirent, mais personne n’osa arrêter de parler. Le vacarme protubérant qui entourait l’alcool et le tabac froid gisait là comme un rempart contre un problème plus gros qu’une simple dette ou une sordide histoire de femme. Le silence annonce toujours un désastre chez les pauvres. Une espèce d’attente sordide de quelque chose qu’on craint. Et lorsqu’on n’a plus rien que sa propre misère et sa vie à vendre, on ne craint rien. Sinon la mort. Nikita sortit un petit masque de sa poche et le posa sur son visage. Seuls ses yeux rouges étaient visibles et ils restaient fixés sur cet objectif fixe, juste devant lui. L’intérêt qu’on portait au jeune homme s’accrut, parce qu’un étranger ne passe jamais inaperçu dans un monde où il faut se battre pour avoir un morceau de trottoir ou morceau de fesse à vendre. La seule odeur qui émanait de ses vêtements propres rameutait déjà assez d’intérêt pour qu’on fasse de lui une cible potentielle. Il serait une cible, c’était à n’en pas douter.

La chaise frotta douloureusement le parquet humide. Il posa ses deux coudes sur le comptoir et scruta silencieusement le serveur. C’était un vieil homme, quoi que d’assez bonne condition physique encore. Sa barbe possédait quelques mois, sinon années, mais étrangement, ses deux lèvres étaient parfaitement visibles. Il émanait du vieil homme une certaine forme d’intelligence que Nikita n’avait pas décelée chez chacun des bons à rien qu’il avait rencontrés ici.

[…] - Qu’est-ce qu’il veut, l’étranger ?

Son sourire déforma son masque, mais les plissements du tissu restaient pratiquement invisibles.

[Nikita] – Taran Kojima.

L’homme s’arrêta aussi sec. Ses pupilles devinrent deux petits ronds remplis d’huile et ses mains se refermèrent en deux poings qu’il serrait pour ne pas sentir la douleur, pour ne pas perdre pied. Elle l’avait pourtant prévenu, il viendrait. Un jour, il arriverait, il poserait sa requête et il repartirait aussi étrangement qu’il était arrivé. Elle avait été claire sur un point : il ne servait à rien de résister. L’homme semblait simplement surpris que cet homme soit existant, il pensait à un vulgaire coup de charme de la peur sur une partie de la raison de la bonne femme lorsqu’elle lui avait raconté cette histoire, deux semaines plus tôt. L’espace d’un instant, l’idée de mettre à terre cet avorton lui traversa l’esprit. Son regard se reporta sur les trois ou quatre gorilles qui buvaient ça et là dans l’auberge.

Nikita posa sa main sur le poignet du vieil homme et sera assez fort pour que cela soit douloureux. Juste assez fort pour qu’il ne crie pas.

[Nikita] – N’y pense même pas.

D’un mouvement discret de la tête, il montra une femme qui avait posé ses pieds près du feu. Nikita haussa un sourcil lorsqu’il décrit son dos fin, ses lignes élancées et sa chevelure plus propre qu’il ne l’avait imaginé. Mais il n’était pas Dieu, et il ne pouvait pas avoir un temps d’avance sur tout et sur tout le monde.

Taran est une femme ? Le barman parut entendre sa question et faillit sourire d’avoir surpris son interlocuteur. Nikita serra un peu plus fort, l’homme grinça des dents. Puis il se leva, et se dirigea vers la jeune femme comme si de rien n’était.

[Nikita] – Taran Kojima.

La jeune femme ne se retourna pas. Elle leva une main désinvolte vers le ciel et parut amusée.

[Taran] – Ca dépend, qui le demande ?

[Nikita] – Faites en sorte que je ne regrette pas d’avoir laissé Shishiko en vie.

La main féminine et frivole qui tournoyait dans les airs s’arrêta soudainement de bouger et c’est tout le bras qui se raidit à l’annonce de ce nom. Et du danger qui planait dessus. Elle avait pourtant eu vent du retour d’un homme que beaucoup croyaient mort ou occupé, quelque part aux confins du monde. Shishiko n’avait jamais fait mention de son nom, elle n’en avait d’ailleurs jamais parlé à quiconque, sinon pour dire qu’un jour, il reviendrait. Taran douta d’avoir derrière elle cet homme, parce qu’il était bon de douter de tout et de tout le monde en ce monde. Néanmoins, le ton confiant, presque arrogant de confiance de son interlocteur la fit hésiter.

Elle se retourna.

[Taran] – Qu’est-ce que je peux faire pour toi jeune homme ?

Nikita sourit, même s’il restait placidement neutre aux yeux de tous. Shishiko … quelle brave femme. Quel maillon intéressant, puissant et à la fois si fragile qu’il était si facile de déstabiliser, de pousser vers le ravin et de faire tomber avec elle un grand nombre de personnes toutes dont la mort serait une aubaine pour le reste obscur de la société qui ne faisait pas affaire avec elle. Leur seule erreur ? Laisser les commandes à une femme. Une femme d’âge prononcé qui plus est.

[Nikita] – J’ai besoin d’un guide.

Taran sourit faussement, préférant garder un faux semblant de confiance en elle qu’elle jouait à la perfection.

[Taran] – Il y a un bon petit paquet de bonhommes capable de te mener sur tous les chemins mon mignon. Et pour quelques pièces seulement.

[Nikita] – Ce n’est pas une question de prix, répondit-il aussi froidement.

[Taran] – Alors de quoi est-il question ? Je ne suis pas une catin l’ami.

Il baissa soudainement son masque et posa une cigarette entre ses deux lèvres.

[Nikita] – De localisation. J’ai besoin d’aller à Suigara.
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MessageSujet: Re: Le prix du silence   Le prix du silence EmptyJeu 18 Fév - 22:00

La lune est noire.

Les volets n’étaient pas fermés. L’air frais rentrait dans la petite chambre, balayant la chaleur des draps et des corps qui se dégageait de l’unique lit. Les vêtements d’une femme gisaient à terre, entassés, sans volonté apparente de les vouloir plier. Deux bras sortirent des draps et traversèrent le grand oreiller, caressant le drap avec sensualité. La femme gémit et passa une main moite dans ses cheveux bruns. Sa respiration était haletante, son visage crispé par un intense sentiment de bonheur qui semblait lui procurer tellement de plaisir qu’elle en souffrait. Elle se retourna et borda la couette au dessus de sa poitrine, les yeux toujours fermés, plongés dans ses rêves. La porte grinça. Elle se redressa immédiatement et souleva rapidement le matelas pour en sortir une petite lame qu’elle lança vers le bruit qui s’échappait dans l’obscurité la plus totale. Nikita sourit discrètement.

Il s’arrêta net et fixa la lame qui s’était planté dans le bois de la porte, juste devant sa bouche. Il posa sa cigarette sur ses lèvres et tira dessus avec nonchalance. La mort ne me fait pas peur, pauvre sotte. Je ne crains pas ce qu’elle me prépare. Son doigt glissa sur le poignard. Une fine pointe de douleur le fit sourire à nouveau. Lentement, il scruta son doigt qu’il apercevait à peine dans le noir et imaginait la goutte de sang que la coupure avait laissé perler le long de sa peau. Il tira sa langue et posa son index dessus. Une petite liqueur âpre y coula et le jeune homme sourit, satisfait. Le rouge s’étalait sur ses dents avec une légère transparence, imprégnait son palet jusqu’à ce que sa salive ne lave finalement le fluide de vie. Celui qui fait vivre mais qui ne donne que la mort. On aime le savoir bousculant nos petites cellules mais on déteste toujours sa couleur. Caché. Démérité. Porteur de mauvaises nouvelles.

[Taran] – Tu ne dors pas ?

Nikita fit jouer la lame entre ses doigts. Malgré l’obscurité, Taran tentait bien que mal de cerner son acolyte. Mais c’était bien plus qu’une simple description physique, quelque chose d’à la fois trop sommaire et irréalisable – l’homme était toujours caché par une quantité de vêtement. Il était simplement jeune, sa voix était sûre et ne virevoltait pas. Quelques mèches pourpres se mêlaient sans grand mal aux prunelles rouges acres de Nikita. Sanglant et confiant, à la limite de l’arrogance. Taran n’avait pas peur, elle n’avait jamais eu peur de grand-chose ni de beaucoup de monde sur ces terres, peut-être parce qu’elle avait toujours été à la pointe de l’occasion, de l’opportunité et de l’information. Peut-être aussi parce que Suna lui avait légué bien des secrets avant de sombrer. Avant qu’elle ne transperce ses murailles de roche et son désert livide et blanc, balayé par les vents et par le soleil. Pourtant, elle paraissait intriguée, presque inquiète.

Si ce qu’il insinuait était vrai, il avait eu la vie de Shishiko entre ses mains. Deux puissantes mains blanches dont il ressortait une précision violente. Avant de partir pour Suigara – parce qu’elle l’y amènerait, pour plein d’autres raisons que la contraintes – Taran devait vérifier que Shishiko avait été mise en danger. Parce qu’entre elle et le reste du monde, il y avait des dizaines d’hommes, des organisations, deux ou trois réseaux qui poussaient leurs ramures jusque dans les profondeurs de Suigara.

Nikita s’approcha de la fenêtre et posa ses deux mains sur son rebord. Il tira généreusement sa cigarette et sourit à peine, cherchant du regard l’astre lunaire qui se cachait dans le ciel dégagé.

[Nikita] – Vous feriez mieux de vous rendormir.

Taran s’assit sur le bord du matelas et s’entoura du drap blanc. Elle sourit à peine et passa à nouveau ses doigts le long de ses cheveux en bataille.

[Taran] – Tu ne m’as toujours pas expliqué pourquoi tu voulais aller à Suigara.

Nikita haussa un sourcil et sourit.

[Nikita] – Ne m’obligez pas à me répéter …

[Taran] – Je n’arrive pas à te cerner. Tu sembles être quelqu’un de très professionnel et en même temps …

Nikita se retourna immédiatement, la clope toujours coincée entre ses deux lèvres et fixa la jeune femme qui s’était levée juste derrière lui.

Il ne s’était pas réellement renseigné sur Taran. Il en savait assez pour savoir qu’elle pouvait être dangereuse. Une femme aussi belle et aussi fragile ne pouvait pas avoir la place qu’elle tenait auprès de Shishiko et auprès de ses créanciers sans cacher dans sa poche tout un tas de cartes que Nikita n’avait pas particulièrement envie de prendre connaissance. Néanmoins, il n’en souffrait d’aucune inquiétude.

[Nikita] – Terminez votre phrase.

Taran sourit, satisfaite.

[Taran] – Tes yeux sont imbibés de sang mon mignon. Tu es fou.

Elle en riait, la salope. Elle trouvait cela amusant, comme si la vie n’était qu’un jeu. Finalement, il l’avait peut-être sous-estimé. Elle ignorait tout de lui, elle l’avait accepté sur la seule supposition qu’il aurait été capable de menacer une personne puissante. Oui qui connaissait d’autres personnes puissantes. Il aurait pu mentir. Il aurait pu simplement bluffer mais Taran savait pertinemment bien qu’il n’en était rien. Shishiko n’était pas une femme qui se laissait facilement devancer et Nikita était presque fier de l’avoir surpris, en partie. Parce que ce n’était pas totalement vrai. Le barman était au courant de son arrivée. Il n’avait aucune idée du visage qui viendrait à lui ni la date de son arrivée, mais il savait, Shishiko l’avait prévenu. Elle le connaissait si bien que ça ? Quelle belle salope.

Mais il en avait joué. Il avait profité de son intelligence, de ses précautions. Il était là, devant Taran, grâce à elle. Néanmoins, Nikita doutait toujours des véritables raisons de la jeune femme à l’emmener. Quelque part il savait qu’il aurait pu être n’importe qui, elle l’aurait aidé. Dans quel but ? C’était bien cela qui l’ennuyait. Il n’en avait aucune idée.

Son visage sérieux se détendit. Il laissa tomber sa cigarette sur le sol et l’écrasa du bout du pied. Pas à pas, il s’avança vers elle, le masque toujours baissé sur son menton. Il avançait, impressionnant, mais elle ne rougissait pas, elle ne sillait pas. Là, il se colla à elle et laissa son regard se morfondre dans le présent. Taran sourit. C’était cette folie qu’elle cherchait, celle qui s’emparait de son acolyte lorsqu’il se laissait aller. Et alors elle ne doutait plus. Cet homme était dangereux, il était un monstre que quelqu’un avait crée – et l’espace d’un instant, elle pensa au rôle de Shishiko dans ce projet – un monstre qu’on avait crayonné de part en part, gommant chacune de ses faiblesses et on l’avait lâché dans la nature, seul. Sa colère et sa folie s’était alors accentuées, catalysé par ce monde cruel. Comme une bombe dont le détonateur était laissé à portée du premier venu, du premier qui aurait le courage, le culot, l’audace ou la même folie de l’enclencher. Son haleine empestait le tabac froid, mais son sourire avait quelque chose de réconfortant. Elle se laissait aller, faussement – parce que Taran ne laissait jamais la manipuler – et buvait sa respiration parfaitement calme, son souffle chaud. Elle frémit. Ses mains s’étaient posée dans l’échine de sa colonne vertébrale, dans le creux de son dos. Elles remontaient doucement jusqu’à sa nuque. Il pourrait la tuer, l’achever. Il n’avait qu’à faire un geste et elle tomberait, dans une demi-seconde d’inattention, mais quelque part, quelque chose ou quelqu’un lui disait qu’elle pouvait avoir confiance. Pas parce qu’elle était la seule à pouvoir l’aider, il y avait une quantité de gueux qui seraient capable de le conduire dans ce village minable de l’ouest du pays – elle ne lui avait pas menti – mais parce qu’il était venu à elle et qu’il ouvrait à elle ce penchant de sa vie qu’il ne cédait qu’à ceux qu’il tuait. Uniquement à ceux qui ne le verrait plus jamais.

Elle espérait pouvoir rouvrir ses yeux et retrouver cet homme sérieux et concentré qu’elle avait détruit en quelques secondes.

La peau de ses doigts était étrangement douce. Ils s’arrêtèrent au contact de la soie de son dos, là où le drap était mollement rentré sur lui-même afin qu’il ne tombe pas d’un coup sur le sol et dévoile ainsi le corps nu de Taran. Lentement, Nikita en faisait le contour, profitant de chaque seconde pour laisser ses doigts s’imprégner de la folie de la chose. Son doigt s’enfonça dans l’encolure et la défit facilement. Il tira doucement et le drap tomba. Son sourire s’était échappé, mué par une intense tension qui la captivait. Ses genoux se plièrent et lentement ses mains descendirent le long de son abdomen, chatouillèrent ses cuisses, caressèrent le creux de ses genoux et s’évaporèrent au contact de ses fines chevilles. Taran souriait. Elle s’amusait, elle en jouait et en même temps, elle soupirait d’un plaisir si intense, ému par la peur de craquer complètement devant la faiblesse de l’homme qu’elle avait charmé et qu’elle avait percé, dévoilé au grand jour.

Nikita remonta subitement et jeta dans les bras de la jeune femme la robe qu’elle avait déposée sur le sol avant de s’enfoncer dans les draps, quelques heures plus tôt. Son regard avait repris la même teinte brisée, comme un masque qu’il s’était façonné pour couvrir sa folie. Elle cligna nerveusement des yeux, surprise.

[Nikita] – Rhabille-toi, nous partons.

La lune était noire. Il ne pouvait pas laisser passer cette occasion de parcourir les plaines dans la plus grande discrétion. Intérieurement, il sourit de la surprise qui meublait alors le visage de Taran.

C’était ça. Sa folie.
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MessageSujet: Re: Le prix du silence   Le prix du silence EmptyVen 19 Fév - 20:54

L’avenue était grouillante d’immondices, de larves qu’on avait envie d’écraser du bout du pied comme un vulgaire mégot de cigarettes. Des liqueurs de toute sorte de couleur tapissaient les murs et des parfums à soulever le cœur des plus endurcis se répandaient dans la largue ruelle qui s’étendait sur plusieurs centaines de mètres, entrecoupée par de nombreuses autres impasses plus sombres, plus noires et plus glauques encore. Alors c’est ça, Suigara ?

Quelque part Nikita fut déçu, mais il ne le montra pas. Le bourdonnement des hommes et des femmes qui grouillaient dans le village était grandissant à mesure que le couple s’enfonçait dans l’avenue. Il devint très vite insupportable. Nikita raffermit le tissu de sa capuche sur sa tête et laissa son masque blanc recouvrir le reste de son visage.

Ses yeux fixaient l’avenir, loin devant lui, sans jamais sourciller. Taran ne semblait pas inquiète, seulement un peu agitée. Il y avait longtemps qu’elle n’était pas revenue ici et cela ne paraissait pas particulièrement lui plaire. Enfermée dans son petit village bouseux était une vie qui lui convenait assez. Bien sûr, elle bougeait de temps à autre, pour remplir les contrats de la compagnie et obéir aux ordres qu’on lui apportait. Mais Suigara représentait un pan de sa vie qu’elle n’aimait pas abordé.

Ses jambes déambulaient pourtant avec une étrange tranquillité. Nikita sourit sous son masque.

[Nikita] – Nous allons avoir besoin d’un lieu où dormir.

Elle s’arrêta aussi sec.

[Taran] – Nous ?

Nikita sourit à nouveau.

[Nikita] – Oui, nous.

[Taran] – Il n’en est pas question.

Il se colla contre elle et força son regard.

[Nikita] – Vous allez rester, Taran.

Elle fronça ses sourcils.

[Taran] – Explique-moi pourquoi je ferais une chose si stupide.

Nikita se retourna et ria. Il reprit lentement sa marche, ses bras gesticulant au milieu de la foule.

[Nikita] – Parce que vous n’avez qu’une envie.

Il alluma une cigarette et laissa la fumée s’échapper de sa bouche découverte.

[Nikita] – Découvrir que je suis et quels sont mes objectifs.


***


[…] – Taran est en ville.

Grimace.

[…] – Comment est-ce possible ?

Des épaules qui se haussent.

[…] – Aucune idée, mais elle est là. C’est un fait.

[…] – J’avais pourtant été bien clair la dernière fois, non ?

Sourire amusé. Nostalgie d’une scène de puissance.

[…] – La promesse d’une mort certaine si elle remettait un pied ici ?

Odeur subite de cigarette.

[…] – On ne peut plus clair.

Moue dubitative et sourire cruel.

[…] – Je veux savoir ce qu’elle fiche ici.

[…] – C’est comme si c’était fait.

Une porte qui s’ouvre. Des pas qui glissent, de plus en plus sourds. Puis, le silence.


***


Elle avait grimacé, elle s’était jeté sur lui et l’avait frappé une fois, au visage. Nikita s’était relevé et l’avait attrapé par le col de son manteau avant de la soulever dans les airs. Il n’était pas en colère, plus amusé par la scène que Taran lui jouait, au milieu d’une foule qui n’avait que faire des affaires qui ne la concernait pas. Bien sûr, il y avait des yeux partout, des yeux qui s’intéressaient de près ou de loin à une rixe possible, à un conflit et à un corps probablement mort qui girait le lendemain matin sur un trottoir, au détour d’un carrefour peu fréquenté. Des yeux qui se targuaient de ne faire que regarder à longueur de journée, la seule splendeur de la réalité, sans jamais faire une ébauche d’une supposition, d’une réflexion. Ils fixaient les gens, les passants et mémorisaient chacun de leurs traits. On ne passe jamais inaperçu à Suigara. Surtout lorsque c’est la première fois qu’on y pose les pieds. Surtout quand la dernière fois qu’on les y avait mis, on était plus censé les retrouver …

Un sourire s’était finalement dégagé de son visage. Un sourire contrarié, embêté. Il le savait, il l’avait deviné, il avait lu en elle aussi facilement qu’il lisait dans un livre pour enfant. Toutes ces années qu’elle s’était entraînée au paraître, tant d’années à jouer un jeu. Ce jeu qui lui avait promis tant de fois la mort mais qui l’avait toujours sorti de toutes les emmerdes dans lesquelles sa mission la plongeait. Elle l’avait frôlé, cette putain la faucille acérée, elle l’avait même côtoyée mais, avariée, Taran était revenue encore et encore à la vie sans jamais demander son reste. Elle n’avait de loi que pour elle-même et pour celle qui lui avait donné la vie. Pourtant elle était là, devant un homme qu’elle ne connaissait que depuis trois jours – le temps d’un voyage – et elle ne représentait alors qu’un vieux jeu en bois qu’on jetait lorsque la passion et l’amusement s’était enfoui derrière le besoin d’en trouver un autre et de s’amuser à nouveau. Elle risquait sa vie en revenant à Suigara. Elle risquait également sa vie en s’en allait. Sa vie n’était qu’un risque et l’espace d’un instant, elle l’avait oublié.

Nikita tirait largement sur sa cigarette et suivait sans n’y porter aucune intention Taran au travers des passants et des mendiants. Suigara était un lieu immonde, un appendice dans ce monde mais il l’aimait déjà. Shishiko le lui avait dit : prend garde de ne pas porter trop de haine à la faiblesse, tu pourrais t’y attacher. Il jeta son regard sur une toiture d’où émanait une étrange fumée verdâtre, puis continua sa route.

Taran les amena dans une petite auberge coincé près de Suigara, dans une ruelle plus calme, perpendiculaire à l’axe principal. Ils montèrent dans une chambre sans même adresser une parole au tenancier et là, elle plongea sur le lit, comme fatiguée. Le jeune homme quitta son masque d’hôpital et remis une cigarette entre ses lèvres.

[Nikita] – Demain j’irais faire quelques courses.

Taran s’étira et enlaça l’oreiller moelleux – quoique poussiéreux – avec amour.

[Taran] – Quel genre d’achats ?

Nikita gémit un gloutonnement étrange et sourit.

[Nikita] – Des détails. Ce genre de détails qui sauvent la vie.

[Taran] – Et que veux-tu que je fasse ?

Il se pencha à la fenêtre qui donnait sur le mur noirâtre juste en face de l’auberge.

[Nikita] – Je croyais que vous n’étiez pas un petit chien ?

Elle se releva et s’avança jusqu’à lui. Là, il s’empara de sa cigarette, s’assit sur le rebord de la fenêtre et plia ses jambes laissées nues par un pantalon qu’elle avait déchiré aux cuisses.

[Taran] – Toi et moi, on est dans la même galère mon chou.

Son regard semblait transpercer les murs. Nikita réfléchissait. Il devait lui faire confiance. Lui en céder, juste un brin, guère plus. D’une manière comme une autre, tout se passait comme il l’avait prévu, même s’il avait conscience de n’avoir pu prendre en compte la population et le passé sûrement tumultueux de sa partenaire. Néanmoins, il ne pouvait se séparer du plan qu’il avait établi.

[Nikita] – J’ai besoin que vous trouviez quelqu’un capable de me donner des informations.

Il sourit.

[Nikita] – Vous devez bien avoir cela dans vos relations, n’est-ce pas ?

[Taran] – Possible … Hé ! Elle releva la tête. Tu vas où comme ça ?

Il leva un bras amusé.

[Nikita] – J’ai faim. Je vous retrouve dans une petite heure.

Bon appétit maugréa-t-elle dans un chuchotement inaudible. Elle tira sur la cigarette et la jeta dans la rue, grimaçante.


***


Un sentiment de crainte. Quelque chose d’inhabituel.

[…] – Elle n’est pas seule.

Surprise.

[…] – Ah ?

[…] – Un homme. C’est probablement la première fois qu’il met les pieds ici.

Une pointe de colère, quelque chose comme de l’impatience.

[…] – Probablement ?

La peur, puis la confiance. Puis la peur à nouveau.

[…] – Personne ne l’a jamais vu en tout cas. Soit elle s’est trouvé un partenaire soit …

Insultant. La sensation d’être insulté. Voix profonde, caverneuse, rauque et violente à la fois.

[…] – Taran travaille toujours seule.

[…] – Soit il avait besoin d’elle pour venir ici.

Réflexion. Trop de questions. Trop peu de réponses. Et la tête de liste ?

[…] – Envoyez un message à Shishiko, je veux savoir ce qu’il se passe ici.

Enervement.

[…] – Et découvre qui est ce bonhomme.

[…] – Il a les yeux du démon, ce ne sera pas facile.

[…] – Rien n’est facile à Suigara, imbécile.

Deux yeux de plus dans l’obscurité. D’un vert pâle terrifiant. Surprise, encore …

[…] – Les deux gardes de Shishiko ont été éventrés.

Frayeur, mélangé à la crainte d’une mauvaise nouvelle.

[…] – Elle va bien ?

[…] – Elle va bien.

Raclement de gorge.

[…] – Concentrez-vous sur lui. Je veux tout savoir de lui et de ces objectifs.

[…] – Et Taran ?

Ricanement effrayant.

[…] – Ses explications ont intérêts à être convaincantes.
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MessageSujet: Re: Le prix du silence   Le prix du silence EmptyMer 24 Fév - 20:04

Il y a certaines choses qu’on n’explique pas, qu’on ne maîtrise pas.

Parce qu’il parait impensable d’avoir la main mise sur tout et sur tout le monde. Il y a toujours une donnée, quelque chose d’imprécis, de flou, une variable qui donne du fil à retordre aux esprits les plus poussés qui soient. Le hasard, la chance, le destin. Dieu. Je n’ai jamais cru en Dieu. En aucun dieu, quelque soit son nom. Il n’a jamais cru en moi, d’ailleurs. Et ça tombait plutôt bien.

Alors on ne peut prévoir toujours qu’à la limite du réel, du rationnel, parce que tout le reste n’est pas à notre portée. Il est loin, très loin, effacé de toutes ces choses qui mènent notre vie par le petit bout du nez. Un quotidien comme un autre. La même odeur au levé, la même sensation de fraîcheur, un bâillement, le rouge délicat du soleil qui se pose sur la peau piquante du matin. Tout cela existe, tout cela est présent, inscrit et se répète inlassablement. Il n’est pas question de savoir s’il y aura un nuage pour coiffer la lumière, une nuit bien moins reposante qu’elle ne devrait l’être ; il est juste question d’un matin. Et cela, inéluctablement, quoi que le temps puisse promettre, puisse nous promettre, c’est quelque chose que rien ni personne ne pourra nier, ne pourra réfuter ni même envisager d’annihiler, sinon dans les flammes bien chaudes d’un enfer bien noir. Mais tout le reste ? Tout ce qui l’entoure ? Cette vie qu’on nous donne, qui commence si tôt et se termine si tard chaque jour, que devons-nous vraiment en faire ? Ce sont ces choses-là, qu’on n’explique pas. J’aurais du tuer Shishiko, mais je ne l’ai pas fait.


Quelque chose d’intenable le tenait. La sensation d’être pressé, comme impatient. Ou plutôt, inévitablement poussé par une curiosité latente qui l’animait. Il sentait son cœur battre la chamade, son sang s’agiter dans ses veines. C’était l’instinct, ou quelque chose qui y ressemblait. Il le reconnaissait lorsqu’il venait à lui-même si, étrangement, il n’arrivait pas à le maîtrisait. Il arrivait ainsi, avec ses indices flous, avec ses marques imprécises, mais il était là et ne pas le suivre remplissait l’estomac de Nikita d’une boule trop lourd pour qu’il ne puisse la supporter. Le jeune homme se leva de la chaise qui gisait près du comptoir et poussa son assiette à peine entamée. Il passa la petite porte et sortit. Sur le bord du trottoir, il s’arrêta, humant l’odeur nauséabonde de la foule haletante, de l’urine, de la cigarette et de la mort. Particulièrement de la mort. Quelque chose l’attirait.

Plusieurs rues s’entrechoquaient dans un labyrinthe infini. Le ciel était couvert et pas une bribe de vent n’annonçait un ciel bleu futur. Nikita rabattit la capuche sur sa tête et posa le masque sur son visage. Il allait se passer quelque chose de grave. Quelque chose dont il ne pourrait pas d’extirper. Les visages se retournaient sur son passage, les regards étaient intrigués, souvent inquiets. Comme si l’on avait peur. Pas de lui, des hommes bien plus louches foulaient Suigara bien plus souvent que lui. Non. C’était comme si l’on lisait sur son front son avenir. Un avenir noir, un avenir sanglant. Et peut-être que cette fois, juste pour cette fois, il serait du mauvais côté de la lame. Il ne l’était pas souvent, mais il suffisait de si peu. Nikita sourit.

Il suffisait d’une fois.

C’était une bâtisse aux grands murs noirâtres. Il y pénétra rapidement, sans rien dire. A l’intérieur, aucune âme ne semblait respirer. Pourtant, il y avait bien un homme, caché quelque part. Nikita descendit son masque et émit un sourire malsain. Sa main tomba sur la table au fond de l’arrière-salle dans un bruit fracassant. L’homme apparut, tremblant. Leurs regards se croisèrent mais l’homme ne dit rien. Son sourire ne disparut pas. Sa main serra sa gorge et le souleva contre le mur. L’autre posa une petite bourse sur la table et l’homme soupira.

Il n’était pas question de trainer, il n’était pas question de flirter avec la flânerie et la paresse. Nikita n’avait jamais réellement apprécié ces valeurs même s’il aimait parfois en profiter, quelques jours entre deux mois mouvementés, autour d’un verre bien rempli sous un la chaleur respectable d’un soleil rougissant. Son regard se porta sur-lui, justement. Une heure. Il était temps de retrouver Taran. Il serait peut-être même un peu en retard.

[Nikita] – Quelque chose ne va pas ?

Il dévisagea le visage crispé de Taran. C’était une expression qu’il n’avait jamais lu en elle, comme si elle lui était inexistante. Quelque chose de l’inquiétude et de la peur se mêlait son regard abattu. Elle visait directement l’assiette qu’elle dévorait des yeux sans pourtant y avoir touché une seule fois. Courbées sur la grande chaise, elle posa ses mains de part et d’autre de l’assiette et renifla discrètement.

Taran ne répondit pas. Nikita s’assit lentement à côté d’elle et passa une main dans les cheveux de sa partenaire. En venant ainsi, elle l’était devenue, même s’ils n’avaient signé aucun papier le certifiant. Même s’ils n’étaient liés par une quelconque attraction physique. Ils n’avaient pas fait l’amour et dans la plupart de ces voyages, ce genre de procédés était courant. Ils révélaient une certaine envie d’en jouer et de tromper son partenaire. Taran n’était pas une femme facilement corruptible mais elle restait un danger. Parce que sa loyauté … elle ne l’avait jusque là pas prouver.

Subitement, Nikita prit peur. Il laissa tomber sa cigarette et remit son masque sur son nez.

[Nikita] – Vous avez quelque chose pour moi ?

Le poing de la jeune femme se ferma à cette question comme pour étrangler un cou qu’elle n’avait pas.

[Nikita] – Taran … Si vous avez quelque chose à me dire, c’est maintenant ou jamais.

La jeune femme se redressa lentement. Sa tête pivota sur son cou et elle scruta les environs. Il n’y avait personne dans l’auberge, sinon quelques deux âmes discrètes qui trinquaient régulièrement. Mais comme si elle ne pouvait aller contre la force des choses, elle soupira.

[Taran] – Ils sont là.

Nikita écarquilla ses yeux, interrogé.

[Nikita] – Qui, ils ?

[Taran] – Ceux qui avaient promis ma mort si je remettais les pieds à Suigara.

Nikita recula d’un pas et laissa la chaise tomber sur le sol dans un choc fracassant. Les deux hommes derrières eux se retournèrent, mais ne bougèrent pas. Ils reprirent très vite leur conversation.

Il n’était pas venu à l’idée que venir à Suigara leur apporterait quelques ennuis, mais Nikita pensait pouvoir les gérer avec la même poigne qu’il avait eue par le passé. Néanmoins, les larmes qui perlaient au bord des paupières de Taran ne lui indiquait rien de bon. Il ne pensait pas qu’elle ait risquée jusqu’à sa mort pour lui. Ou pour quelque chose d’autre qui lui échappait.

[Nikita] – Il faut qu’on parte.

Elle sourit, désespérée.

[Taran] – Nikita …

Une main se posa sur l’épaule du jeune homme, un autre s’empara de son menton et dans un violet coup de bras, sa tête craqua et Nikita tomba à même le sol, le souffle coupé.

[Taran] – C’est trop tard.
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MessageSujet: Re: Le prix du silence   Le prix du silence EmptyMer 24 Fév - 21:09

J’aurais du tuer Shishiko.

J’aurais du le faire, et malgré le masque de colère et d’incendiaire destruction que je portais avec une facilité qui m’effraie, je n’ai pas réussi, je n’ai pas trouvé le courage. J’avais pourtant décapité d’un fin trait de couteau la tête des deux gardes. Je les avais sèchement et rapidement détruit, j’avais pris leur vie. C’était plus que cela en vérité, j’avais joué avec leur mort. Leurs mains, leurs pieds, je les avais découpés un à un, j’avais ouvert leur abdomen et j’avais entouré ce qui restait de leur cou de leurs boyaux. Comme pendus par leurs propres tripes.

J’ai fait tout un tas de belles conneries dans ma vie. J’ai fait toute sorte d’horreurs, d’immondices. Mais cela, non, jamais je n’avais osé même l’imaginer. Il faut croire que le contact de la seule mère que je n’ai jamais eu me donna le courage et la folie d’y réussir. Et pourtant lorsque j’ai finalement posé mes yeux sur elle, parce qu’elle était l’objet de ma visite, l’objet de mon carnage, les deux autres n’étant que les briefes d’un aléatoire que je ne contrôle pas, lorsque je l’ai finalement regardé, j’ai hésité.

Ce petit pincement dans mon cœur qui ne signifiait à l’habitude, absolument rien, sinon peut-être que je m’empêcherais moi-même de dormir pendant quelques nuits, il changea les cartes et la donne ne m’intéressait plus. Pour quelques cauchemars de plus, pour quelques remords qui se seraient très vite évanouis dans le noir de ma mémoire, j’aurais pu finalement concrétiser tout ce que j’avais entrepris depuis toutes ces années.

On ne crée pas une bête sans penser à ce qu’elle deviendrait une fois humaine.


C’était une petite geôle pas bien propre et pas bien chauffée. Une odeur nauséabonde d’urine et de vomi l’entourait mais l’intérieur, bien que particulièrement pauvre en décoration, respectait quelques lois des conditions de détention d’un prisonnier.

Nikita se réveilla difficilement. Ses yeux s’ouvrirent lentement, comme si une grande chape de béton était accordée à chacune de ses paupières. Il décida finalement de laisser ses yeux fermer, puis il s’assit comme il put contre ce que ses mains lui décrivaient comme un mur, humide et suintant. Ses poumons se remplirent d’air et il émit un faible et retenu gémissement. La pression de ses doigts dans le creux de ses orbites oculaires vint à bout de la douleur et de la fatigue. Nikita ne savait pas trop : avait-il simplement dormi ? Ou son corps avait-il était tant martyrisé qu’il s’était arrêté de vivre pendant quelques heures ?

La douleur dans sa nuque se réveilla également, bien trop rapidement à son gout. Il y passa une main sans l’espoir d’en résoudre les tensions. Subitement, il comprit. La poigne qui s’était emparée de son épaule bien trop vite pour qu’il ne puisse y répondre par une quelconque parade, le bras qui léchait son cou puis qui le tordait et qui se retirait en un coup sec et violent. Et sa nuque qui craquait. Comment était-il encore en vie ?

Il y avait plusieurs règles qui régissaient Suigara que Nikita semblait ignorer. Celle de la mort, principalement. Néanmoins, le jeune homme comprit très vite que si on l’avait voulu sans vie, son corps girerai déjà sur un trottoir de l’avenue et les passants, innocents, lui marcheraient dessus sans même s’en apercevoir.

Il se releva difficilement. Son esprit tournait avec violence et l’odeur qui l’entourait contractait maintes et maintes fois son estomac. Son corps se pliait alors en deux et Nikita ouvrait la bouche sans que rien n’en sorte, sinon l’atroce douleur de sentir son organisme pousser du vide. Il n’avait jamais aimé cette sensation. C’était comme être torturé pour une information qu’on n’avait en fait pas. Il imaginait cela très bien même si, étrangement, il n’avait pas encore rencontré ce genre de situation. La plupart du temps, il avait quelque chose à vendre.

Et lorsque ce n’était pas le cas, il était de l’autre côté des barreaux, avec un puissant sourire noir.

Les pulsions de son estomac ne l’aidaient pas. Il titubait déjà, et lorsque l’odeur devenait trop forte, il se pliait et tombait à nouveau, crachant sur le sol. Nikita n’avait jamais lâché prise, quelle que soit la cible ou l’objectif mais il décida finalement qu’il ne servait à rien de se relever et que cela lui nuirait plus que cela l’aiderait. A moins que la geôle soit encore ouverte, auquel cas ces agresseurs n’étaient pas bien intelligents ou c’étaient de grands comiques. D’une manière comme une autre, il les retrouverait.

Son sac. L’espace d’un instant, il eut peur. Mais il était là, toujours fermé, dans un coin de la petite pièce.

Le cliquetis de la sourire rompit le silence. Allongé, comme inanimé sur le sol, Nikita ferma les yeux et écouta les pas venir jusqu’à lui sans pouvoir rien y faire. Il haïssait tout autant cette sensation. Deux bras le soulevèrent et sa tête tomba sur le côté, balbutiant. Puis il s’évanouit à nouveau.


***

[…] – Quel est votre nom ?

Nikita sourit bêtement, toujours amorphe sur sa chaise.

[…] –Je répète ma question. Quel est votre nom ?

Il remua ses mains, puis ses pieds, pour se rendre compte qu’une lanière bloquait chacun de ses membres et qu’elles étaient assez bien serrées et solides et lui trop fébrile pour espérer s’en défaire. L’homme qui lui faisait face était également assis sur une chaise en tout point similaire, bien qu’aucun lien ne le retienne. La différence entre le prisonnier et le détenteur avait toujours été si fine, il en suffisait finalement de si peu. Si peu pour avoir le dessus sur un homme.

[Nikita] – Il me faut une clope.

L’homme brailla quelques paroles inaudibles qui semblaient indiquer son désarroi.

[…] – Ne me faite pas perdre mon temps et répondez à la question.

Ses bras se plièrent sur son abdomen, montrant toute sa sérénité. Mais le mouvement était très mal joué. Ses chevilles tremblaient légèrement et son talon tapotait nerveusement le sol. Dans la lumière qui émanait d’une seule lucarne derrière lui, les gouttes de sueur qui perlaient sur son front étincelaient assez pour le tromper sur son propre comportement.

Le même sourire béat illuminait le visage de Nikita.

[…] – Qui êtes-vous ?

[Nikita] – La question a changé mon gars, il va falloir choisir.

Un autre homme apparut derrière le premier et s’avança vers lui. Grande carrure, bras puissants et poigne ferme, c’étaient les seules atouts de sa petite personne, pensa-t-il. Il le frappa au visage et Nikita cria. Il redressa sa tête, cracha sur le sol et renifla pour éviter que le sang ne glisse de trop le long de son visage.

[Nikita] – Si vous aviez voulu me tuer, vous auriez pu déjà le faire à maintes reprises. Et ces questions que vous me posez indiquent très clairement que vous attendez quelque chose de moi. Il passa sa langue le long de ses lèvres. Je veux une clope et l’assurance que Taran est en vie avant de répondre à vos questions l’ami.

Son sourire s’élargit en un large rictus moqueur que Nikita mettait sur le compte de son état physique. Et de la drogue qu’ils avaient très certainement mélangée à son sang.

[Nikita] – Sinon, vous pouvez aller vous faire foutre.

Un autre coup percuta sa joue. Nikita crut que sa tête s’était détachée du reste de son corps, puis il se remit aussi droit qu’il put. Mais son sourire mesquin ne s’était pas effacé.

[…] – Vous avez de bonnes raisons d’être prétentieux.

Nikita rit.

[Nikita] – Je ne sais pas qui vous êtes, messieurs, et je ne suis pas en très bonne posture actuellement, mais je peux vous garantir que j’ai toujours de bonnes raisons de l’être.

L’homme assis dans l’ombre se leva subitement et s’avança jusqu’à lui. Sa main se posa sur son cou, qu’il caressa d’abord du bout des doigts. Nikita déglutit difficilement et renifla à nouveau. C’était une sensation qu’il appréciait tout autant, celle d’avoir sa vie entre la main d’un autre et de savoir qu’il ne la lui ôterait jamais. Il y avait une grande différence avec le sentiment de ne rien pouvoir faire, d’être impuissant face une situation désespérée en tout point.

Il avait accroché un point qu’il ne lâcherait plus, le chantage.

La main du petit homme se referma finalement. Le visage de Nikita se crispa, son sang montait de plus en plus lentement dans son cerveau et sa respiration devint haletante, puis inexistante. L’odeur du tabac parvint toutefois jusqu’à lui et ses lèvres se refermèrent malgré lui sur le filtre d’une cigarette.

L’homme relâcha son emprise et rangea le petit paquet cartonné dans une poche de son grand manteau. Son second craque une allumette et positionna la flamme juste au dessous du bout de la clope. Nikita inspira tant bien que mal et laissa enfin échapper un nuage de fumée, satisfait.

[…] – J’ai fait le premier pas. Il ne tient qu’à vous de fumer votre dernière cigarette ou la première d'une encore très longue série.

Le jeune homme haussa les épaules, amusé.

[Nikita] – Vous comptez réellement me relâcher ?

[…] – Cela ne dépend que vous.

Il entra dans un profond rire.

Bien sûr, bien sûr, c’est ce qu’ils disent tous, et ce qu’ils font une fois qu’ils ont ce qu’ils veulent. Jusqu’à ce que vous passiez le pas de leur porte et qu’ils vous poignardent dans le dos. Il vaut toujours mieux être un informateur cocasse qu’un imbécile naïf.

[Nikita] – Allez, ne faites pas l’idiot, je ne sortirais pas d’ici vivant.

L’homme se rassit et joua avec ses doigts, comme s’il perdait lentement patience.

[…] – Je n’ai qu’une parole.

[Nikita] – Evidement. Nikita tira doucement sur sa cigarette et laissa la cendre tomber sur sa veste, dans l’incapacité d’utiliser ses mains. Vous savez, j’ai toujours dit à mes victimes que je n’avais qu’une parole et pourtant … ne sont-elles pas toutes mortes ? Votre parole, vous pouvez vous la mettre où je pense, l’ami, ce n’est pas un monde pour les hommes qui respectent leurs engagements.

Pour la première, l’homme se détendit. La discussion partait bien plus loin qu’il ne l’avait imaginé dans sa petite caboche, bien plus loin qu’elle ne devait être partie, mais elle commençait finalement à lui satisfaire. Il se laissa glisser jusqu’au bord de sa chaise et posa ses bras sur les accoudoirs de bois.

[…] – Que respectent-il, dites-le moi ?

Nikita leva les yeux, sentant bien que l’homme jouait ses propres cartes et qu’il avait perdu son masque de colère et de sérieux bien trop vite pour qu’il ne soit sincère.

[Nikita] – La force. L’honneur, les promesses, allez, allez, ne me dites pas que des hommes de votre prestance prennent ces choses-là à cœur. Je vais vous dire ce qu’il va se passer, que les choses soient bien claires entre vous et moi.

L’homme se redressa, intéressé.

[Nikita] – Vous êtes un imbécile. Je ne sais pas encore tout à fait pourquoi, mais vous avez fait la bêtise de me faire perdre mon temps mais d’une manière ou d’une autre, je vous l’assure, je partirais d’ici et je terminerais ce que j’ai commencé. Vous, vous allez simplement accéder à mes conditions, écouter mes réponses et lorsque vous aurez ce que vous désiriez, vous me tuerez. D’accord ?

[…] – Je pense que nous som …

[Nikita] – Ta gueule !

D’un mouvement des lèvres, il jeta la fin de sa cigarette et l’écrasa du bout du pied, retenu à celui de la chaise. Les yeux de Nikita s’injectaient de sang et prenaient une couleur rouge un peu plus soutenu, quoi que ténue dans l’obscurité.

[Nikita] – Amène-moi Taran et ferme la !

Le gorille le frappa une troisième fois et Nikita sombra.

Le premier acteur se releva et passa une main inquiète le long de son menton sur laquelle une barbe de quelques jours seulement s’était éveillée. Il fit quelques pas, tourna autour du corps évanoui de Nikita et grimaça. Il regarda finalement son second. Sur un signe de la tête, il sortit. Il se rassit alors et ne cessa d’observer l’homme qu’il interrogeait. Il aurait aimé sourire, il souriait toujours dans ces moments-là, mais quelque chose l’inquiétait.

Ces yeux rouges. Bien sûr.
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MessageSujet: Re: Le prix du silence   Le prix du silence EmptyJeu 25 Fév - 22:17

Shishiko était cette mère. Pas biologique, quoi que. Parfois je me demande si elle n’alla pas jusqu’à faire don d’un peu de sa propre substance pour que je puisse voir le jour. Mais tout cela, ce sont des questions sans réponses. Des questions que je me pose depuis qu’il existe un semblant de conscience dans ce qui me sert de caboche. Je ne saurais sûrement jamais, je ne les trouverais pas, parce que les plus grandes clés de ce monde sont dissimulées dans l’immensité de l’oubli, et cela non plus nous ne le contrôlons pas.

C’est la première que j’ai rencontré quand j’ai repris connaissance. J’avais ces petites jambes blanches au bout de mon corps, et deux petits pieds dont la peau, nue, semblait avoir été martyrisée par la terre, la boue, la roche et l’herbe humide. Je m’étais réveillé et j’avais cligné des yeux avec cette seule question en tête : qui étais-je ? C’est la première qui me tomba dessus. C’était encore une jeune femme, dans la force de l’âge. Elle vagabondait dans la forêt avec une joie intense, un petit panier rempli de fraises à la main. Elle posa son regard sur moi et, évidement, je fus conquis. Je n’avais guère le choix, l’homme semblait être un animal que je découvrais moi-même. Je suis resté un an à ses côtés, dans une petite chaumière au nord de Kawa, perdue dans de grandes plaines entourées de petites rivières. Elle m’avait presque tout appris. A faire confiance, à aimer, un peu, à comprendre, à regarder le monde tel qu’il était. Et puis un jour, nous partîmes. Elle me laissa devant les portes d’un petit village entouré d’une palissade de bois au milieu d’une grande forêt, avec pour seule parole qu’un jour, je reviendrais et que j’aurais tout. Tout ce dont j’aurais besoin. Quand je vois le monstre que je suis devenu, je me dis que j’aurais lui demander presque immédiatement ma mort.


Taran se réveilla douloureusement.

Elle cligna des yeux et laissa le froid du sol pénétrer son corps solidement attaché, comme un vulgaire saucisson. Elle, elle s’était faite bernée comme une vraie débutante. Pourtant, ne connaissait-elle pas les risques qu’elle prenait en revenant à Suigara ? Si, elle en était parfaitement consciente mais quelque chose l’avait poussé à accompagner Nikita. Le jeune homme l’intriguait. Elle avait très vite compris qu’il était un personnage potentiellement violent, que sa personnalité restait d’un flou dangereux, néanmoins il avait toujours été respectueux avec elle, il lui avait fait confiance et dans le merdier dans lequel elle s’imaginait fourrer et avec qui elle avait fait plongé Nikita sans qu’il n’ait rien demandé, elle ne pouvait se tourner que vers ces personnes en qui elle laisserait sa vie entre les mains de ceux qui feraient tout pour la sauver. Nikita, parce qu’il avait besoin d’elle et que sous son masque glacial, suintant la mort et la colère, il paraissait être quelqu’un de droit. Quelqu’un doué d’une morale assez poussé pour faire la part des choses. Et Shishiko.

Il aurait pu la tuer, avait-il dit, mais il ne l’avait pas fait. Elle niait l’évidence, il avait menti, mais quelque part au fond de son âme, elle préférait en douter, remettre en question les faits qui paraissaient pourtant évidents. Il ne l’avait pas tué et il était son envoyé. Taran était ce genre de femme qui n’avait pas de parole, pas d’honneur. Mais Shishiko … C’était différent, oui, bien différent.

Une brise fraîche franchit la petite fenêtre à barreau. Elle brassa ses cheveux bruns et Taran frissonna. Un homme pénétra dans la petite geôle. Il se rapprocha d’elle, posa sa main sur sa gorge et la souleva dans les airs.

[…] – Sale catin.

Il lui crachat au visage. Comme on crache sur le visage d’un esclave. Elle n’eut pas la force de dire un mot et sentit sa respiration se couper, son visage gonfler et les souvenirs de ses premières journées sur ce monde s’effacer inéluctablement.

Elle posa finalement son regard sur l’homme qui la soulevait et sourit tant bien que mal.

[Taran] – Noru …

Il rit.

[Noru] – Tu n’imagines même pas à quel point je suis heureux de poser à nouveau ma main sur toi, salope.

[Taran] – Fut un temps où tu la posais ailleurs.

Il la lança contre le mur derrière elle. Taran cria.

[Taran] – Et tu aimais plutôt ça, hein ? Tu n’es toujours qu’un rat à qui l’on fait faire le sale boulot, n’est-ce pas Noru.

Noru ne souriait pas. Dans l’ombre, ses dents grinçaient, son regard rempli de colère en disait long sur l’avenir qu’il promettait à sa proie. Comme un loup, il avançait doucement autour d’elle. Un loup bien seul, sans sa meute. Mais un loup reste un loup, vif, endurant, les crocs acérés, les babines dégoutantes d’une sanguinolente passion pour le sang et cette lueur rouge dans ses yeux. Une lueur injectée de rouille, d’un sang, pulsion qu’il ne pouvait contrôler. Taran n’avait pas peur de Noru, c’était l’animal qui vivait en lui qui l’effrayait. L’animal qui s’était maintes et maintes fois réveillé lorsque leurs deux corps mouvaient d’un seul mouvement dans une intense fusion sexuelle et qui provoquait en elle un plaisir dont elle avait oublié la sensation.

Elle avait toujours redouté le moment où Noru reviendrait à elle, parce qu’elle ne saurait trouver les mots pour expliquer sa si longue absence. Etrangement, elle ne sentait plus le besoin d’expliquer quoi que se soit. Il la tuerait bien assez rapidement.

Il l’attrapa par les cheveux et la traina hors de sa cage.


***


Noru était un curieux personnage. Quelque chose qui mêlait à la fois la bestialité de l’homme à l’humanité de son homologue. Il s’avérait parfois d’une compréhension incompréhensible, exprimant une joie sans nom dont Taran avait toujours cherché à comprendre la source sans jamais trouver de vraie réponse. Parfois, elle s’était simplement dit qu’il était heureux d’être à ses côtés, malgré les risques qu’il prenait. Le Lys Cendré ne prêtait que très rarement attention aux plaisirs des hommes qu’il emploie, il avait toujours fonctionné ainsi.

Ce n’étaient pas que de vulgaires missionnaires, des mercenaires qu’on rémunérait à la prestation et qu’on relâchait à l’inconnu du monde lorsque la contrat était rempli. De vraies fonctionnaires, des hommes de mains, des hommes de vies, des hommes qui respirent pour le Lys, des hommes qui ne vivent que par lui, et pour lui, dans le seul objectif de remplir une mission qui est né dans leur esprit depuis le premier jour où ils poussèrent leurs premiers pleurs sur ce monde dangereux. Noru, comme tous les autres, était un fonctionnaire. Il habitait, il mangeait et il dormait au sein même du Lys même si Taran n’avait jamais eu vent d’un lieu précis. Le Lys Cendré était partout, avec plus ou moins d’insistance. Parfois, ce n’était qu’une petite masure qui représentait en elle-même le symbole de sa puissance, sa simple ambassade. Parfois, c’était tout un réseau qui s’était greffé à une ville et qui la faisait vivre sans jamais baisser les yeux. L’échine courbée, mais les yeux toujours piqués droits vers l’avenir.

Il déposa son corps endolori sur le sol glacial d’une salle plus grande où un autre homme était assis. Caché dans l’ombre, il ne bougeait pas, comme si même sa respiration s’était soudainement atténuée, pour l’occasion. Noru posa son corps musculeux sur un mur et plongea son regard dans celui de Taran, affaibli, presque abattu.

[Noru] – Tu savais que ça se passerait ainsi.

Elle sourit comme elle put.

[Taran] – J’avais envie … Elle cracha un peu de sang sur le sol sur lequel elle gisait. De te voir.

Il l’affligea d’un puissant coup de pied dans les reins. Taran cria, elle gémit durant plusieurs minutes sans cesser d’observer l’homme qui était assis dans la profondeur de la grande pièce et qui ne bougeait toujours pas.

[Taran] – Tu m’as manqué tu sais. Toi, tes coups de colère, tes superbes muscles … ton corps nu à ma portée.

Il répéta le coup.

[Noru] – Ta gueule.

Noru alluma une cigarette et se laissa tomber contre le mur.

[Noru] – Tu vas mourir, Taran.

Elle gloussa.

[Taran] – On meurt tous un jour tu sais.

[Noru] – T’aurais pu vivre encore longtemps, être riche, te plonger dans le bonheur …

[Taran] – T’es devenu poète avec le temps ?

[Noru] – Je t’ai aimé, pétasse. Il te suffisait de ne plus foutre les pieds ici et je ne me serais pas souvenu de tous nos moments passés ensemble. Et eux …

Taran tenta de se relever comme elle put et se posa contre le même mur que le puissant homme, à quelques pas de lui.

[Taran] – Le Lys ?

Il renifla.

[Noru] – Il faut vraiment que tu foutes la merde partout, hein ?

[Taran] – Non, je fais juste ça pour t’emmerder mon beau.

Elle soupira et acquiesça des yeux.

[Taran] – C’est dans ma nature … il parait. Je ne suis pas venu pour le Lys Cendré, je partirais sans lui. Ce ne sont pas vos affaires. Ce ne sont plus vos affaires depuis bien longtemps …

[Noru] – On ne se sépare jamais du Lys. Il n’y avait qu’une condition Taran, qu’une putain de condition.

[Taran] – Et je ne l’ai pas respecté.

Noru tira généreusement sur sa cigarette. Son poing se fermait puis se décontractait régulièrement. L’homme semblait pris entre les souvenirs d’un amour passionné qui avait disparu trop vite et trop violemment et la sensation d’avoir été trahi, lui, et ce qu’il représentait.

[Noru] – Pourquoi ?

Elle gloussa un rire impossible ;

[Taran] – Si seulement je le savais …

Noru se releva subitement. Il s’approcha d’elle à grands pas, et posa sa main sur son visage encore doux, malgré l’humidité et le froid qui l’a gelé depuis quelques heures. Son regard sombre se perdait dans ses yeux d’un vert étincelant. Malgré ses blessures et la fatigue, Taran restait une très belle femme. Trop belle à son goût. Mais les ordres avaient ça de plus que l’amour que lorsqu’ils s’emparent de son cœur, ils le rendent rarement.

Amer, il planta le foyer de sa cigarette dans le creux de son cou et frappa le mur, juste à côté du visage de sa prisonnière.

[Noru] – Ca a un rapport avec l’autre homme, hein ?

Sa bouche ne s’ouvrit que pour gémir de douleur, bien qu’elle la contenant comme elle pouvait.

[Noru] – Réponds-moi !

Elle renifla bruyamment.

[Taran] – Qu’est-ce qui t’emmerdes le plus, Noru, que je sois revenu alors que Lys m’avait interdit l’accès à Suigara sous peine de mort ou … Elle sourit niaisement. Ou qu’il y ait quelqu’un d’autre dans ma vie ?

Noru la gifla une dernière fois.

[Noru] – Tu l’as sauté, lui aussi ? Et tu vas le laisser tomber comme une merde, lui aussi ?

[Taran] – Alors c’est bien ça qui te tracasse ? Que je sois parti sans dire au-revoir ?

[Noru] – Adieu serait plus juste.

Noru se souleva, alluma une autre cigarette et souleva Taran de sorte qu’elle tienne sur ses deux pieds.

[Noru] – Ca n’a plus d’importance pour moi. Ils veulent te voir.

[Taran] – Ils ?

Noru émit un sourire faussement amusé.

[Noru] – Ton petit ami te demande.

[Taran] – Il est encore en vie ? Ici ?

Alors tu tiens tant à lui que ça, n’est-ce pas ?

Il la poussa vers la porte par laquelle ils étaient entrés tous deux. Il est ici, oui, mais plus pour longtemps …


Dernière édition par Namikaze Iki le Dim 7 Mar - 16:39, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le prix du silence   Le prix du silence EmptySam 27 Fév - 3:02

Nikita est, pour beaucoup de personnes, un nom qui n’existe pas. Ceux qui m’aiment, me haïssent, ceux que j’ai tué, ceux à qui j’ai sauvé la vie, ceux qui me payent et ceux à qui je donne mon argent chaque jour pour vivre, ne le connaissent pas. Pour eux, je suis un mirage, inexistant. Un nuage qu’on croit apercevoir mais que le vent dissout presque instantanément. Pourtant, Nikita, c’est mon nom. Un nom que peu avaient entendu jusque là. Mais comme le monde, les choses changent. Et pas toujours dans le bon sens. Ce n’est qu’un masque mon ami, un masque. Un masque que je m’amuse à porter parce qu’il n’est pas question que je redevienne l’animal que j’ai été. Mais ce nom colle à ma peau. Il est revenu à moi alors que je ne savais pas moi-même qu’il existait. Je ne le lâcherai plus. Ce n’est pas une promesse. C’est un fait.

Bien des questions sont sans réponses, soit. Mais tant d’autres ne me viennent pas à l’esprit au jour d’aujourd’hui que de réponses, je n’en demande aucune. Mon voyage à Suigara, toute mon œuvre n’avait d’autre but que de retrouver un homme, un autre nom que je devais tuer. Peut-être pas de ma seule patte, mais d’une manière ou d’une autre, cet homme mourrait. On ne pardonne guère souvent les hommes qui tuent d’autres hommes pour de mauvaises raisons. Ce voyage avait été très mal préparé, néanmoins j’avais toutes les cartes en main pour réussir. Shishiko, le premier acte. Elle avait rapidement du se séparer de ses deux petits chiens – je ne les aimais pas, et comme un enfant capricieux, Shishiko faisait tout pour que ma vie soit un éternel rêve. Elle avait les noms, les relations, les hommes de confiances et les informations. Je ne savais pas encore tout cela, je ne connaissais d’elle qu’une position plus ou moins aléatoire dans quelque chose de plus grand qui s’était développé très vite et très violemment – un peu trop peut-être. Mon unique but avait été de trouver un plan pour retrouver un nom. Et ce nom, m’emmènerait directement à Suigara et à ceux qui me permettraient alors de trouver cet autre nom qui manquait tant à mon tableau de chasse.

Taran Kojima, second acte. Je comptais bien évidement sur l’intelligence du vieil homme qui tenait l’auberge. « Une connaissance de longue date » m’avait-elle affirmé. Shishiko avait tout prévu, c’était une femme intelligente. Elle savait qu’un jour, elle reviendrait et dans la plus grande discrétion, elle avait prévenu les hommes qui comptaient pour elles et qui pouvaient compter sur elle. Taran Kojima était le nom qui était inscrit tout en bas de l’enveloppe. Une femme, je n’en savais guère plus. Sinon que l’écriture avec laquelle l’encre la nommait était celle d’une mère en qui je pouvais faire confiance. Alors je m’étais lancé. Et je l’avais trouvé.


Les festives réprimandes de l’homme qui torture. Cette insatiable passion pour la dominance, l’envie soudaine de faire mal, de toucher quelque part en espérant appuyer sur le bouton de la vérité. C’était comme sentir qu’au fond, on avait raison. Nikita avait maintes et maintes fois torturé, il avait provoqué sur le corps d’hommes, des horreurs. Et souvent, ils répondaient à ses questions. Très étrangement, le duo qui lui faisait face semblait se comprendre sans même qu’ils n’échangent une parole, dans une valse macabre où deux esprits se rencontrent et ne se lâchent plus. Ils n’avaient qu’un objectif et pour cela, ils s’étaient tous deux mis d’accord.

Nikita n’avait jamais compris le paradoxe de la torture, puisqu’il mourrait, une fois qu’il aurait assez résisté pour que ses maîtres d’un jour comprennent qu’il ne dirait rien. Ou il parlerait, ils le relâcheraient, et lorsqu’il aurait fait quelques mètres dehors, sous le ciel grisâtre de Suigara, quelqu’un l’abattrait. Comme on abat tant ici. Nikita n’avait jamais mis les pieds dans ceux dont les regards sont les plus illuminés appellent le paradis du monde extérieur, mais il fut finalement déçu. Il y en avait tant d’autres, des villes de ce genre, des regroupements fortuits ou non de mécréants qui ne cherchent qu’à vivre en dehors du système. Un système qu’il connaissait bien. Sa déception se mêlait à un certain sentiment d’émerveillement ; celui d’avoir entrepris une si grande aventure. Celle d’avoir réussi là où très peu de villages cachés avaient réussi : rassembler hommes, fonds et objectifs pour être une force discrète, mais bien présente, telle une sangsue qu’on croit avoir tué mais qui renait ailleurs.

Suigara est immortelle, pensa-t-il, mollement.

Un troisième larbin pénétra dans la pièce. Il poussa Taran qui tomba lourdement sur le sol. Elle était en vie ! Amochée, fatiguée, mais en vie. Une grosse boule noua l’estomac de Nikita. Il s’était levé ce matin-là dans l’espoir de repartir très vite de l’enfer dans lequel la jeune femme les plongerait, mais il comprit très vite que ce ne serait pas le cas. Il fallait d’abord qu’il les sauve. Son regard se posa sur son visage couvert de suie, de sang et de quelques mèches poisseuses que la prison n’avait pas rendues très attrayantes. Il renifla et tenta de cacher son soulagement, sans réussite.

[Noru] – Homme. Qui es-tu ?

Nikita releva lentement la tête. Ce n’était pas encore un de ces faux mouvements qu’il s’amusait à jouer afin de donner à son adversaire l’impression qu’il contrôlait encore les rênes de son esprit, mais bien une fatigue oppressante qui l’accablait toujours un peu plus vers le sol. Ses yeux se posèrent logiquement sur Noru, un homme grand et fier, dont les pupilles bleues indiquaient une certaine beauté, quoi que douteuse dans cette situation.

[Nikita] – J’avais demandé Taran, pas ce foutu molosse.

[…] – Taran est là, et elle est en vie. Dites ce que vous avez à dire, qu’on en finisse.

Noru se porta sur son acolyte, assis dans sa grande chaise de bois. Il ne l’aimait pas beaucoup, cela se lisait dans la grimace qu’il effaça rapidement de son visage, commandée par un réflexe bien perceptible. Il haussa un sourcil, étonné de le voir s’exciter ainsi, comme un vulgaire puceau sur sa première proie.

Nikita se reporta sur Taran. Elle releva difficilement sa tête et tenta d’intercepter le regard de son partenaire qu’elle sentait se poser sur elle, mais elle ne s’en sentit pas capable et s’évanouit à nouveau d’un profond sommeil. Le corps à ses limites … Elle était pourtant au courant. Quelque part, elle s’en voulait de les avoir franchies pour son seul plaisir : celui de mettre en colère son ancien coéquipier, avec réussite. Noru était affreusement hors de lui, et l’aura de colère qui émanait de son regard commençait à sérieusement déranger ses deux compères. Néanmoins, il ne broncha pas et resta planté là, juste derrière Taran comme s’il s’agissait de sa prisonnière et de sa prisonnière rien qu’à lui. Dans l’esprit de Nikita, cela ne faisait plus aucun doute, si quelqu’un devait la tuer, ce serait bien lui. Il y avait ce petit quelque chose de nostalgique et de passionné qui faisait qu’il n’excuserait jamais le présent à Taran. Son présent.

Il hésita. Il sentait Taran lutter contre lui, le persuader de ne rien dire, tout en sachant que cela annoncerait leur mort à tous les deux. Mais ils mourraient, quoi qu’il arrive et Nikita avait les idées claires et n’avait pas menti : sa venue à Suigara n’avait aucun lien, sinon celui de son guide, avec les hommes qui s’en était pris à lui. Alors il la retarderait, cette pénitence, et il les sauverait. Sa décision était prise, aussi idiote soit-elle.

[Nikita] – Mon nom est Nikita.

[Noru] – Nikita comment ?

Le premier gorille s’effaça soudainement et fit face à Noru. L’homme, toujours assis, grommelait quelque chose d’incompréhensible que Noru n’apprécia pas, montrant certaines de ses dents les plus longues face à son partenaire.

[…] – Noru, que les choses soient claires. Cette histoire ne vous concerne plus, alors taisez-vous, ou vous savez pertinemment ce qui suivra. N’est-ce pas ?

Noru rugit intérieurement mais se reposa finalement sur le mur, toujours aux côtés de Taran.

[…] – Vous n’avez pas de nom ?

Nikita sourit intérieurement. Si, bien sûr il avait un nom, mais il ne le dirait pas. Personne n’en avait connaissance, personne n’avait besoin d’où il venait, ni même quels étaient ses véritables objectifs. Il était toujours ce masque, et ce masque-là, non, ne portait d’autre nom que celui qu’il avait clairement énoncé.

Il nia la question, d’un vague mouvement de la tête.

[Nikita] – Je suis né dans un petit village au nord de ce pays. Un village … Une chaumière, où une femme m’a élevé et m’a porté dans ses bras jusqu’à ce que mes jambes puissent me porter à elles-seules. J’ai très vite décidé que je lui avais porté plus de préjudices que de bonheur alors je suis parti. Je n’étais encore qu’enfant. Il fit un bref mouvement de la main. L’homme se leva, lui apporta une cigarette et la lui alluma avant de rassoir avec la même nonchalance.

[…] – Et qu’avez-vous fait tout ce temps ?

Nikita gloussa, amusé.

[Nikita] – J’ai traversé les chemins, parcourus ce monde lentement. Je ne suis pas fier de tout ce que j’ai entrepris, parce que tout n’est pas beau, tout n’est pas blanc. Le plus souvent, il y avait beaucoup de sang, parfois du mien, si cela peut vous rassurer. Mais je suis là, bien vivant. Il émit un râle, puis continua avec la même voix rauque, rempli de fatigue et de souffrance que ses yeux ne rapportaient étrangement pas. Vous aurez beau chercher, qui que vous soyez, vous ne trouvez rien sur moi. Nikita n’est qu’un masque, un masque blanc sans visage, sans émotion véritable. Le masque, pas moi. On m’a appris à le porter très tôt, on m’a appris à ne respirer que par lui, à transpirer avec, à tuer avec. Je suis un tueur, messieurs.

Le gorille serra ses poings, comme si Nikita l’effrayait à mesure qu’il parlait. Il sentait sa langue presser son cou, ses yeux perforer son visage et ses poings arracher son cœur sans émettre le moindre regret, rien qu’au ton qu’avait sa voix. Elle s’était peu à peu transformée en une prière grave et profonde, une incantation qui les plongeait dans un monde dont ils ne reviendraient sûrement pas. Pourtant, malgré tous les défauts que l’interrogateur avait montrés depuis le début de l’entretien, son visage resta particulièrement neutre. Sa cheville avait même arrêté de trembler sur le sol, ses doigts s’étaient peu à peu calmés et embrassés le bois de sa chaise.

[…] – Si un tueur ne nous sert pas, Nikita, nous l’éliminons.

Nikita inspira la fumée qui rentrait dans sa bouche et l’expulsa lentement.

[Nikita] – Vous n’avez rien à craindre moi.

[…] – Laissez-moi en douter. Vous me narrez l’histoire d’un assassin qui a survécu toutes ses années à chacune de ses interventions et qui plus est, a toujours réussi à sauver son nom. Donnez-moi une bonne raison de ne pas vous abattre maintenant, vous et le masque que vous portez ?

[Nikita] – Parce que vous n’avez pas raison d’avoir peur. A moins d’avoir un lien quelconque avec la cause de mon arrivée à Suigara. Mais cette personne qui m’a fait naître, qui m’a protégé et qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui m’a également appris à choisir ses cibles. Je ne tue jamais par hasard, je ne tue que celui qui m’intéresse. Les autres …

Il sourit difficilement d’une moue fatiguée de tant de sous-entendus.

[Nikita] - … Ne m’intéressent pas. Vous ne m’intéressez pas.

L’homme passa une main dont les veines ressortaient avec violence le long de son visage. Il plongea deux de ses doigts dans ses yeux et laissa sa tête tomber en arrière.

[…] – Je pense pouvoir comprendre. Néanmoins, quelque chose m’échappe.

Il se remit droit, posa ses coudes sur ses genoux, puis sa tête sur ses deux mains dont les doigts s’étaient liés.

[…] – Qui est cette personne qui a fait de vous un être de sang, Nikita ? Qui est-il ?

[Nikita] – Qui est-elle serait plus juste. Ma mère. Le nom de Shishiko doit bien vous dire quelque chose, n’est-ce pas ?

Un silence plana au milieu de la salle. Chacun connaissait ce nom, avec plus ou moins de profondeur. Noru parut le plus touché, bien que la réaction du corps de Taran fut juste assez violente pour la ramener contre le mur au son de ce nom et du lien que Nikita avait tissé avec. L’homme assis dans le fond de sa chaise ne bougeait pas, mais cette fois, cela n’indiquait pas un bon signe. Fixant Nikita, il paraissait comme trahi. La peur ne l’affectait pas, même si Shishiko était une femme assez influente et assez puissante pour qu’elle puisse lui faire payer ses bassesses sur le corps de son soi-disant fils.

Il se leva subitement et d’une violente claque, il balança la cigarette qui pointait au bout des lèvres de Nikita contre le mur à côté de lui. Il attrapa ses mèches rouges et les tira en arrière. Son visage était collé contre le sien, si bien que Nikita pouvait sentir sa respiration froide et chahutée s’écraser sur sa peau.

[…] – Ce sera ma dernière question, Nikita. Il tira à nouveau ses cheveux. Qu’êtes vous venu faire ici ?

[Nikita] – Un contrat. Le marché noir en délivre des dizaines tous les jours. J’ai un homme à tuer et chaque minute que je passe ici me sépare un peu plus de lui.

[…] – Son nom !

Nikita réfléchit quelques secondes, mais il lui apparut qu’il avait déjà tiré assez de ficelles, abattu assez de ses cartes et gagner assez de parties pour jouer avec le feu. Contre le feu.

[Nikita] – Roiji. Akabane Roiji. C’est un ancien shinobi de …

[…] – De Kiri, je sais.

L’homme se rassit à nouveau. Ce mouvement les agaçait tous, lui plus que tous les autres, mais ses nerfs ne parvenaient pas à contenir le flot d’information et d’émotions qui émanaient de cette discussion. Nikita parut presque surpris de sa réponse, comme si par le plus grand des hasards il venait de trouver l’informateur qu’il cherchait depuis trois bonnes semaines. Mais son regard se porta à nouveau sur Taran et immédiatement, il se dit qu’il aurait certainement pu en trouver un autre qui n’aurait pas mis leur vie en danger. Sa vie, à elle. Parce qu’il y avait derrière ces trois hommes quelque chose de plus grand, de plus gros et de plus puissant encore. Le simple nom de Shishiko en était la preuve accablante. Et cette manière de faire, cette méthode, cette assurance et ce déploiement de moyen, juste pour une renégate.

[…] – Tu es peut-être finalement plus intéressant qu’il n’y parait.

[Nikita] – Vous jouez très mal … Laissez-moi partir, ou tuez-moi, il n’y a pas d’autres choix.

Ses petites dents de chiens mordirent ses lèvres.

[…] – Que me proposes-tu en échange de la liberté et des informations que tu recherches ?

[Nikita] – Ca fait beaucoup de choses pour si peu …

[…] – Ne joue pas avec ma patience, Nikita !

[Nikita] – Bien, bien.

Il renifla et passa sa langue sèche sur ses lèvres méchamment abimées.

[Nikita] – Iki Namikaze. C’est un Juunin de Konoha.

[…] – Il est si intéressant que cela ?

Nikita gémit un rire affreux.

[Nikita] – Je n’en sais rien. Roiji est-il un déserteur intéressant ? Non, mais il rapporte beaucoup. Prenez ce que je vous donne, vous ne serez pas déçu à moins que …

[Nikita] – A moins que cela ne vous intéresse pas.

L’homme sourit d’un sourire avide.
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