Le Deal du moment : -28%
Brandt LVE127J – Lave-vaisselle encastrable 12 ...
Voir le deal
279.99 €

Partagez
 

 [SR] - Le Royaume du Silence

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
Ikue Otami

Ikue Otami


[SR] - Le Royaume du Silence Empty
MessageSujet: [SR] - Le Royaume du Silence   [SR] - Le Royaume du Silence EmptyLun 16 Mai - 22:52

Suigara - 23H00

Suigara apparaissait comme un territoire sans foi ni loi où les pires monstres de la planète pouvaient circuler librement, sans craindre pour leur vie car protégés par la toile que constituait cette zone de non-droits absolue. Une terre où le sang se mêlait aisément à la poussière et où le vice imbibait les mémoires.

Cette capacité à déformer la réalité pour s'en prémunir était une des qualités à porter au crédit des villages cachés et de leurs dirigeants. D'une main de maître, ils réussissaient à dénaturer les faits pour mieux les diaboliser auprès des populations. Suigara était un univers à part, certes. Un univers où il n'était pas donné à tout le monde de survivre – vivre n'y étant en réalité plus qu'un vague concept – mais un univers où l'âme humaine avait su trouver un écho singulier. Bien qu'il entrât en contradiction avec bon nombre de préceptes inculqués dans les académies shinobi, cet écho laissait entendre les voix d'individus meurtris par leur histoire. Des histoires que peu de personnes pouvaient se vanter d'avoir vécu. Des histoires horribles où la douleur et la haine prenaient le pas sur les pires immondices que l'être humain était capable d'inventer.

Suigara n'était pas le monde de loups affamés que les shinobi décriaient. Non, Suigara était un refuge pour tous les incompris, tous ceux dont les souffrances étaient trop profondes, trop encrées dans leur existence, pour que le monde shinobi les décelât. Il n'y vivait pas que des traîtres dont les bandeaux rayés inspiraient les pires craintes aux quatre coins du globe. En réalité, Suigara n'était qu'un toit sous lequel des hommes et des femmes avaient trouvé leur liberté, une liberté qui passait par d'autres chemins que la soumission et l'ordre établit d'un village militaire. Suigara était le point de convergence des torturés, le toit des ravagés. Tout du moins était-ce la manière dont Ikue le voyait.

Une odeur de poisson avarié imbibait l'air ambiant. Il s'y mélangeait une forte essence de charbon qui devait jaillir des quelques forges que comptaient l'artère principale, et une effluve plus subtile, mais dont le souvenir restait vivace malheureusement, celle du bois moisi que la pluie venait tout juste d'arroser comme pour en accélérer la décomposition. Suigara puait. Il puait la mort. Et par cette nuit de brume, rien ne dérogeait à la règle.

Dissimulée sous un épais manteau de voyage, son visage entièrement plongé dans l'ombre de sa capuche, Ikue foulait la boue d'une rue sombre bordée par des bâtisses sur le point de s'écrouler. Quelques bruits de pas accompagnaient son cheminement, au même titre que des coups sourds et des grincements. Ces " bruits ", Ikue imaginait sans difficulté qu'ils devaient être les fruits de quelques corps qui s'écrasaient contre des murs sous une pluie de coups, des mouvements d'un colosse un peu trop lourd qui tentait malgré tout de se faufiler discrètement au bord d'un lit où gisait enchaînée une pauvre fille laissée à sa merci, ou n'importe quel autre scène morbide de ce genre que Suigara était capable de produire à la chaîne tous les jours.

Ikue porta une main entièrement bander au col de son manteau pour le redresser et ainsi couvrir son nez. Ce n'est pas que l'odeur lui déplaisait en particuliers, mais plutôt qu'elle avait tendance à brouiller le fil de ses pensées. Chose qu'elle préférait éviter dans l'immédiat. Sa mission en ces lieux se voulait expéditive. Le plan était rigoureusement tracé dans sa tête, rien ne devait l'empêcher d'avancer, surtout pas une odeur nauséabonde.

Elle bifurqua silencieusement au coin de la rue et marcha une centaine de mètres encore sous une pluie battante. Sa destination était une bâtisse construite sur trois étages dont la façade avait quasiment tourné au noir pour ce qui était un revêtement marron à l’origine. L’enseigne avait disparu, bien que les chaînes auxquelles elle pendait autrefois étaient encore là, elles. Les fenêtres du premier et du second étage ne laissaient filtrer aucune lumière. Celles du rez-de-chaussée permettaient de distinguer quelques lueurs et quelques ombres dansantes qui laissaient entendre que l’endroit accueillait une concentration unique de personnes.

Pour ce que Ikue en savait, l’endroit était une auberge. Tout ce qu’il y avait de plus conventionnel en somme, même pour Suigara. Mais cette auberge ne l’importait pas le moins du monde. Elle n’était pas là en touriste et n’avait pas d’avantage l’œil d’un agent immobilier. Ce qui l’intéressait se trouvait à l’intérieur tout simplement.

En silence, sans même se donner la peine de rabattre sa capuche pour des raisons pratiques, elle entra et se dirigea au comptoir tenu par un homme imposant à l’épaisse barbe grise. Entrer dans un tel accoutrement était monnaie courante par ici, l’homme se contenta donc de l’accueillir comme n’importe quel client. Même la vingtaine d’entre eux amassés autour de tables tanguant au moindre souffle d’air ne lui portèrent qu’une maigre attention.

[?] – Qu’est-ce que je vous sers ?

Ikue répondit en sortant une pièce de monnaie qu’elle fit glisser vers son interlocuteur. Un éclair traversa le regard du barman qui s’empressa de jeter la pièce au fond d’un tiroir avant de vérifier que personne ne regardait dans leur direction.

Cette pièce de monnaie, Ikue en possédait pas moins d’une dizaine dans ses coffres. Elles n’avaient aucune valeur marchande à Suigara comme ailleurs. Elles ressemblaient à des ryos mais n’en étaient pas. N’importe quel œil entraîné – surtout ceux qui sévissaient au marché noir – pouvait déceler qu’il s’agissait de fausses pièces, mais très peu savaient qu’il s’agissait de pièces uniques et précieuses pour qui cherchaient à se procurer les meilleures armes du monde.

[?] – Prenez l’escalier. Deuxième porte à droite.

Ikue ramena son bras le long du corps et monta l’escalier qu’on lui avait indiqué. Arrivé en haut, elle posa son regard sur la dizaine de femmes à peine vêtues adossées aux murs et aux portes du couloir. Les clients devaient se faire rares aujourd’hui, pensa-t-elle en faisant tourner la poignée de la seule porte inoccupée.

Une bouffée de chaleur lui fouetta le visage en entrant. La pénombre laissa brusquement place à la lumière d’une lampe qu’une peau laiteuse venait d’allumer. Un homme d’un certain age était allongé sur les corps de deux femmes aux formes généreuses. Il ne dormait pas. Ses mains courraient encore sur la peau brûlante de ses conquêtes bien que ses yeux demeurèrent fermés. Une plainte s’éleva de la gorge de la plus jeune des deux prostituées – Ikue lui donnait vingt ans à tout casser. Plainte que l’homme réprima d’une main sur la bouche pour la faire taire.

Ikue ne porta aucun jugement sur la scène qu’elle venait de surprendre. Elle ne s’intéressait ni au traitement qui était réservé à ces femmes ni au pauvre homme qui se tortillait à présent pour se redresser en position assise. Même les marques de sévisses clairement dessinées sur les chevilles des deux femmes ne la fit pas réagir. La douleur, la torture, n’était pourtant pas des sentiments qui lui étaient méconnus. Elle aussi avait souffert. Elle aussi avait connu un bourreau perfide. Mais le sort de ces femmes n’avait rien à voir avec le sien. Si elle avait réussi à prendre le dessus, elle ne le devait qu’à elle-même. Ces femmes n’avaient pas besoin d’elle. Après tout, peut-être même qu’elles aimaient ça.

[Ikue] – Shugen Egawa.

L’étonnement se lut sur le visage fripé du vieil homme. Une expression qui laissa progressivement place à un sourire au demeurant sincère.

[Shugen] – Ikue Otami. Cela faisait bien longtemps que je n’avais plus entendu le timbre de ta voix.

Elle acquiesça sobrement.

[Ikue] – J’ai appris que tu avais acquis une lame qui pourrait m’intéresser.

L’homme tapota les cuisses de ses deux compagnes. Elles comprirent que leur prestation s’arrêtait là pour le moment et quittèrent la chambre sans même se donner la peine de passer un tissu sur leurs épaules. Le silence revenu, l’homme se couvrit et se redressa en prenant appuis sur une canne qu’il gardait caché au pied du futon.

[Shugen] – Il semble que tes contacts soient encore persistants à Suigara. Comment se porte Nagareboshi ?

S’il savait…

[Ikue] – Bien.

Elle mentait. Nagareboshi « l’étoile filante » avait disparu depuis un certain nombre d’années ; avant même qu’Ikue n’intègre Asahi. L’organisation d’assassins n’avait vécu que quelques mois, le temps pour sa fondatrice d’amasser d’immenses quantités d’argent qu’elle avait ensuite éparpillé aux quatre coins du monde pour garantir la sécurité de ses investissements.

Shugen était un vieil homme au bras long. Peut-être pas assez pour savoir qu’elle avait intégré Asahi, mais assez pour compromettre les rares affaires qu’elle pouvait encore tenir à Suigara. Lui mentir était un risque. Un risque qu’Ikue ne rechignait aucunement à prendre. Moins Shugen en saurait mieux il se porterait.

Il frissonna.

[Shugen] – Tenir une conversation avec toi relève définitivement de l’impossible. Sur ce point tu n’as pas changé. Suis-moi elle se trouve à l’étage.

Malgré sa cécité, Shugen guida Ikue dans le dédale de couloirs et d’escaliers qui menait au dernier étage du bâtiment sans le moindre faux pas. Ensemble, ils traversèrent une vaste salle où plusieurs dizaine d’individus pariaient quantité d’argent sur une série de lancés de dés, et se dirigèrent vers une porte verrouillée qui donnait sur une petite chambre avec un lit et un coffre. Shugen se pencha sur le coffre et en sortit un paquet grossièrement ficelé. Sous l’œil attentif d’Ikue, il dévissa l’extrémité de sa canne et trancha les cordelettes à l’aide de la lame habilement dissimulée.

Il tourna sur ses talons et mit le contenu du paquet bien en évidence sous les yeux d’Ikue.

[Shugen] – Ce katana aurait été la propriété d’une grande famille de samouraï. La finition est d’une qualité exceptionnelle. La lame est encore remarquable malgré son age.

Ikue saisit le katana. Son index entra en contact avec le tranchant de la lame. Une coupure nette sectionna sa peau et une perle de sang coula le long de la lame.

[Ikue] – Combien tu en demandes ?

Le vieil homme prit un faux air réfléchis.

[Shugen] – Trente mille.

L’œil perçant de la tueuse se posa sur lui avec froideur. Quand bien même il était aveugle, un frisson parcourut son échine.

[Ikue] – Je vois.

Une perle de sueur glissa le long de la tempe de Shugen. Ce ne qui n’échappa pas à l’œil entraîné d’Ikue. L’homme se décrispa comme il le pouvait en éclatant d’un rire qui avait l’air de tout sauf d’un rire naturel.

[Shugen] – Mais pour les amis de la maison, ce ne sera que vingt deux mille. Tu es une amie de la maison pas vrai ?

Elle ne pouvait pas lui en vouloir d’avoir essayé de lui soutirer plus d’argent que n’en valait réellement l’arme. A Suigara, l’argent sale dictait absolument tout. Shugen était conscient qu’elle pouvait l’abattre froidement ici et maintenant pour avoir essayé de la duper ; il en suait d’ailleurs des gouttes de pluie. Mais elle ne le tuerait pas, en tout cas pas tant qu’il continuerait à mettre la main sur des armes de ce calibre.

Elle sortit une bourse de son manteau et la posa dans la main du vieil homme. Il la soupesa et fronça sensiblement les sourcils.

[Shugen] – Mon silence n’a pas besoin d’être acheté.

Ikue savait que la bourse contenait précisément vingt cinq mille ryos.

[Ikue] – Je t’aurais déjà tué si c’était ce que je voulais. Garde le surplus pour mon prochain passage.

[Shugen] – Quelque chose me dit que je ne te reverrais pas avant un moment.

Ikue s’arrêta sur le pas de la porte.

[Ikue] – Tu es perspicace. Nagareboshi se met en marche. Un contrat juteux qui nous rapportera gros.

Nagareboshi n’était plus, mais Asahi oui. A Suigara comme ailleurs, la réalité n’était jamais qu’une question de perception.
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Ryoma - Le forum des Shinobi :: Marché Noir :: Le Vivier-