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Kamiko Wada

Kamiko Wada


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MessageSujet: [Kanjin] Lâchetés   [Kanjin] Lâchetés EmptyVen 7 Oct - 14:03

Spoiler:

Assise en tailleur dans un champ depuis longtemps abandonné, son cheval arrachant mollement des brins d’herbe à quelques pas de là, la jeune femme tranquille observait le paysage qui s’offrait à elle. Elle se sentait d’une humeur étrangement épicurienne. Le vent tourbillonnait tout autour d’elle, mais il lui semblait aussi qu’il s’élevait dans sa poitrine, soufflant sur son âme pour l’arracher aux contraintes de son corps physique. Ce vent l’emmenait tout là-haut, dans le ciel, pour voler en compagnie des oiseaux et profiter de la vue aérienne d’une plaine sauvage.

Kamiko déballa quelques boulettes de riz fourrées, enveloppées d’algues nori, et en mordit une à pleine dents. Savourant son repas frugal, elle se perdit dans de futiles contemplations, suivant des yeux la piste sinueuse et déserte, qu’empruntaient à l’occasion les rares habitants des environs. La jeune femme jeta un coup d’œil de côté à son sac, joliment rebondi de réserves appétissantes quelques jours auparavant, et constata qu’il n’était plus que l’ombre de lui-même, tristement raplapla. Tout en se disant qu’il sera bientôt temps de se ravitailler, elle préféra toutefois s’allonger un moment, les bras repliés sous la tête. L'esprit apaisé, elle fixait le ciel qui se reflétait dans ses yeux, accentuant l’éclat azuré de son regard.

Laissant derrière eux une traînée cotonneuse, de petits nuages défilaient rapidement, à une vitesse qui semblait presque étourdissante tant elle donnait la sensation que le sol se déplaçait. Les oiseaux se jouaient du vent fort qui régnait en altitude, tournant et virant en éclatant d’un rire moqueur à l’intention des pauvres êtres désespérément cloués au sol. Mais la jeune femme s’en fichait. Elle se satisfaisait de sa condition d’être humain destiné à ne voler qu’en rêve. Somnolente, ses yeux se fermèrent avant même qu’elle s’en aperçoive, pour l’emmener dans un voyage privé de la chaude lumière du soleil, car à travers ses paupières closes, nul rayon doré n’a jamais réussi à se frayer un chemin jusqu’à ses songes.




La pleine lune traîtresse éclairait la nuit de sa lueur fantomatique, donnant l’impression d’y voir presque aussi bien qu’en plein jour. Maudissant l’astre qui m’observait de toute sa hauteur, je repris ma route en me glissant du mieux que je pus d’arbres en fourrés, malgré les ombres qui se découpaient trop nettement dans ce vaste paysage à la végétation basse. Une dizaine de minutes plus tard, arrivée sur notre lieu de rendez-vous habituel dans un petit bosquet, je constatai l’étonnante absence d’Hazuki-sensei. Cela ne me préoccupa pourtant guère, et immédiatement, j’en profitai pour me pelotonner contre un saule à l’écorce souple et cédai au sommeil qui me taraudait.

L’épuisement auquel j'étais soumise émoussait mes sens et minait mes capacités de réflexion. J’avais l’impression d’évoluer dans une sorte de brouillard permanent. Mais il n’avait rien à voir avec celui qui m’empoisonnait avant ma rencontre avec Hazuki-sensei. Celui-là, par sa seule présence, mon maître avait semblé le dissiper, ce qui m'avait, d'une façon un peu paradoxale, fort agacée de prime abord. Nos relations avaient alors bien mal débuté. Mais mon jugement avait depuis évolué, même si je ne voyais pas toujours cet homme brusque d’un bon œil.

Le son cristallin de l’eau courant dans son lit me berçait agréablement. Je me forçai malgré tout à ouvrir les yeux, et mes paupières semblèrent terriblement lourdes. D’une torsion du cou, je scrutai l’obscurité de cette nuit lumineuse, mais ne vis personne à l’horizon. Un soupir de soulagement, et je relâchai mes efforts. Je flottais dans les ténèbres réconfortantes du sommeil qui s’enroulait doucement autour de moi, et les nappes grisâtres de mes pensées fatiguées se détachaient de mon corps. L’esprit vide, je les observais paresseusement. Je dévisageais aussi la petite chose difforme, hideuse, recroquevillée tout au fond de moi. J’avais envie de me lover tout autour, de protéger cette infirmité de mon âme, de cacher cette horreur qui m’emplissait de terreur.

Ce fut peut-être Morphée, qui m’arracha soudain à ma contemplation muette. Un lourd rideau sombre tomba alors sur la scène, comme un sabre trancherait les amarres d’un navire en pleine tempête. Et comme lui, je fus happée.

Endormie, je dérivais au cœur d'un océan sans fond ni fin, loin de tout ce qui construisait la réalité, et craignant de m'y noyer.

Endormie, je n'étais dès lors plus de ce monde.





Un grondement sourd roula dans le lointain et résonna longuement. Les vents s’étaient faits plus violents, et une goutte s’écrasa sur la joue de la jeune femme endormie. Kamiko s’éveilla aussitôt, et se dressa sur son séant, l’esprit parfaitement éveillée. Heureusement pour elle, son cheval, qu’elle avait pris l’habitude de ne pas attacher pour les pauses de midi théoriquement courtes, ne s’était pas éloigné. De la main, elle essuya le sillon laissé par la goutte d'eau qui avait glissé le long de sa pommette. Ses larmes en auraient fait autant, si seulement elles étaient venues, pour faire honneur à l’annonce de la mort de ses frères préférés et de celui qui fut son meilleur ami. Mais peut-être les avait-elle déjà trop pleuré par le passé.

J’ai eu beaucoup de chance, je devrais être plus prévoyante…, se réprimanda-t-elle intérieurement pour ne pas avoir attaché son cheval.

Kamiko se leva, et d’un claquement de langue, appela Hayai, qui s’avança d’un petit trot pressé. Il avait hâte de reprendre la route, et le fit savoir d'un petit hennissement joyeux. Sa jolie robe d’un baie presque cerise, chatoyait au soleil comme un incendie une fois lustrée, mais s’assombrissait quand l’orage venait. Elle lui passa le filet et, docile, l’animal accepta le mors sans rechigner.

« Voilàà… », murmura affectueusement la jeune femme en flattant l’encolure de la bête, avant de resserrer la sangle.

Elle glissa le reste de ses provisions dans une sacoche fixée sur la selle, et attrapa les rênes de son cheval pour rejoindre la piste. En levant les yeux, elle remarqua que les nuages s’accumulaient en de sombres formes prêtes à déverser des trombes d’eau sur ses épaules. Refusant de se laisser abattre par cette perspective, elle se dirigea droit sur eux, laissant Hayai marcher au pas derrière elle. Le son régulier de ses sabots ferrés heurtant le sol rythmait leur avancée depuis le début de leur voyage.

Il avait commencé à Ishigaki, au cœur du Pays des Rivières, là où le nombre important de voyageurs de tous poils attire les malandrins. Mais ils se trouvaient à présent tout au nord de Kawa, à la frontière avec Ame, dans la partie du pays qui avait le plus souffert des dernières années de guerre, alors que le peuple des Rivières ployaient l’échine devant la puissance de la Terre et de la Dame aux Mains Rouges. La population avait fui l’enfer de cette zone, et n’était jamais revenue. Pas même pour prendre quelques souvenirs, car tout avait été pillé ou brûlé. Et comme toujours, la nature avait repris ses droits, engloutissant ce qui restait de l’œuvre des hommes.

Sur ce sentier désert, rongé par les mauvaises herbes et sur le point de céder le pas à une flore de bordure envahissante, Kamiko ne craignait pas les mauvaises rencontres. Il ne vivait dans les environs que quelques ermites appréciant la solitude de ces lieux, et le soleil ne projetait que rarement l’ombre d’un voyageur au sol. En somme, rien qui puisse allécher une quelconque bande de voyous, seulement les affamer et les contraindre à l’ennui.

Les gouttes éparses qui tombaient des cieux semblèrent se resserrer. Le soleil n’avait décidément pas de chance. L’occasion de se jouer de l’ombre d’un voyageur lui échappait.

Kamiko récupéra dans son paquetage un long manteau qu’elle enfila afin de se protéger de l’humidité, et s’installa en selle.

« Il semblerait qu’Ame veuille se montrer à moi sous son meilleur jour. La Pluie elle-même m’accueille, à l’orée de son pays… », constata-t-elle à mi-voix.

Il lui arrivait quelque fois de s’adresser ainsi à elle-même ou à Hayai. Entendre le son de sa propre voix avait quelque chose de rassurant, après une journée sans avoir l’occasion de discuter avec ses semblables. Surtout lorsqu’on quitte son pays pour la première fois. La jeune femme avait beau l’avoir sillonné et ne pas être tout à fait novice en matière de voyage, cette situation lui procurait un sentiment étrange. D’autant plus qu’elle avait délibérément choisi de rallonger légèrement sa route en passant par Ame plutôt que le Pays du Vent.

Répondant à la pression des jambes de Kamiko, le jeune cheval s’élança par delà les Rivières, plein de fougue et de panache malgré la pluie qui s’abattit brutalement sur les deux compagnons.

Kamiko Wada

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MessageSujet: Re: [Kanjin] Lâchetés   [Kanjin] Lâchetés EmptyJeu 20 Oct - 14:47

Installée au coin du feu, une couverture sur les jambes, la femme raccommodait paisiblement de vieux vêtements de nourrisson. Elle lâcha un moment ses aiguilles, le regard plongé dans les flammes dansantes qui réchauffaient jusqu’à son cœur en cette froide soirée pluvieuse. L’eau s’était mise à tomber en début d’après midi sur le petit hameau de moins d’une centaine d’habitants, et ne s’était pas arrêtée depuis, tout comme les grommellements du vieux aux articulations rongées par le temps. Il somnolait à présent, installé face à elle, de l’autre côté du feu placé au centre de la pièce principale. Il exhalait parfois un râle qui troublait ainsi l’atmosphère calme.

Cependant, au moins, il ne ronchonnait plus, et le silence apportait à la trentenaire un répit bienvenu, dont elle profitait en cet instant. Elle songeait alors combien il était doux et agréable de se trouver chez soi, à l’abri, alors que la nature se déchaînait au-dehors. Elle aurait aimé ajouter « complètement au sec » aux qualifications de sa maisonnette, mais sur le mur nord, de l’eau suintait à travers le chaume qui n’était plus tout à fait étanche par endroit. Du côté opposé se trouvait une autre pièce, un luxe dont disposait peu de famille de paysans dans la région. Ses deux filles y dormaient, la respiration devenue régulière depuis un long moment déjà.

Puis ses mains, inlassables, se remirent en mouvement. À ses yeux, la vie était une perpétuelle course contre le temps, et ne rien faire plus de quelques minutes d’affilée instillait en elle un désagréable sentiment de vacuité, qu’elle s’appliquait à combler aussitôt en entreprenant une tâche quelconque. Mais depuis que son ventre rond la précédait partout où elle se rendait, elle devait se résigner à renoncer à certains travaux, et à se concentrer sur d’autres qui, malheureusement, laissaient son esprit libre de tomber dans le gouffre immense du vide qui l’habitait parfois.

Des coups frappés à sa porte retentirent, semblant un temps suspendus dans le silence de la très modeste demeure. Cela fit l’étrange effet d’une profanation à la femme, peu habituée à recevoir de la visite à cette heure tardive, et qui, surtout, savourait le seul son qui animait la pièce dans le soir. Car en-dehors du crépitement du feu, presque aucun bruit ne lui parvenait, pas même celui de la pluie s’abattant sur le toit, grâce au chaume qui en étouffait une grande partie.

Le vieil homme se réveilla en sursaut, en entendant ces coups, et riva aussitôt un regard accusateur sur sa belle-fille. Celle-ci haussa les épaules.

« Quelqu’un a frappé à la porte », précisa-t-elle d’un ton neutre.

Le vieux baissa les yeux sur le feu, fuyant ceux de la femme, qui soupira. Le message était limpide. Il ne se lèvera pas pour ouvrir, et restera bien tranquillement installé au coin du feu. Péniblement, elle entreprit de se mettre debout pour aller ouvrir le battant de bois. Dans son dos, elle sentit peser le poids des prunelles du vieux dont la curiosité débordait probablement, à présent qu’il était rassuré de ne pas avoir à bouger de sa place confortable.

Après un grincement, la lueur dispensée par le feu transperça la nuit d’un rayon, éclairant un visage fatigué juché sur une silhouette gorgée d’eau. Il s’agissait d’un jeune garçon, d’environ seize ou dix-sept ans au jugé, même si à cette période de la vie, l’âge n’est pas toujours facile à déterminer, tant certains paraissent mûrs tôt et d’autres d’éternels gamins. Aussitôt, à l’image des gens qu’elle croisait depuis quelques mois, il posa ses yeux sur le ventre proéminent. L’enfant n’était pas encore né qu’il captait déjà toute l’attention. Mais le jeune garçon s’en détourna rapidement, pour planter ses iris avec une étonnante franchise dans ceux de son interlocutrice.

« Désolé de vous déranger, alors qu’il commence à faire tard, mais je cherche un endroit où dormir, et on m’a dit que vous avez un appentis où vous pouvez nous loger, mon cheval et moi … », fit-il d’une voix douce.

Il avait un accent, pas de ceux qui heurtent et dessinent des angles aux consonnes, plutôt de ceux plein de courbes harmonieuses et généreuses qui s’appuient sur les voyelles. Mais il était très léger, à peine perceptible par instant. Elle fut incapable de l’identifier, et supposa qu’il venait d’un pays étranger lointain, ce qui lui serra le cœur au regard de la jeunesse qu’il portait sur ses traits. Que faisait-il, loin de chez lui, de sa famille ? Plus tard, elle se dira que sa sensibilité exacerbée de femme enceinte lui a joué un tour, mais dans cette semi-obscurité, elle fut frappée par l’aspect juvénile et fragile qu’il dégageait. On eût dit un chiot mouillé et abandonné.

« Un moment », répondit-elle.

Le vieux, à moitié sourd, n’avait rien suivi à la conversation et leva vers elle un regard interrogateur et insistant, alors qu’elle s’habillait plus chaudement pour sortir. Elle préféra l’ignorer complètement. S’il voulait savoir quelque chose, il n’avait qu’à remuer sa langue et son derrière.

Elle ressortit dans la foulée, et fit signe à son visiteur de la suivre avec le cheval qu’il tenait par les rênes. Ses sandales s’enfonçaient dans le sol spongieux, mais elle ne craignait pas la pluie, revêtue d’un chapeau à bord large et de son manteau en toile de jute traité pour être imperméable.

Tenant une lampe à huile à bout de bras pour éclairer le chemin, elle les mena jusqu’au petit cabanon au toit incliné, situé derrière la maison. Il trouvait principalement son usage lorsque son mari empruntait, ou louait, quelques chevaux pour l’aider dans les champs, selon les besoins de la période de l’année. En ce moment, il était vide, et lorsqu’elle éclaira l’intérieur, deux stalles apparurent, avec un restant de paille sur le sol en terre battue. Contre un des pans de bois était accumulé du matériel divers, pendu à des crochets fixés sur le mur. Le jeune garçon sembla satisfait de ce qu’il vit, et surtout soulagé de trouver un abri sec pour la nuit.

« Voilà, si ça te va… », dit la femme d’une voix vaguement hésitante.

« C’est parfait. »

Malgré l’assurance de son hôte, son hésitation persistait. Elle pensait à son époux qui serait sans doute furieux qu’elle n’ait pas profité de cette occasion pour encaisser quelques piécettes. Mais elle se sentait mal à l’aise à l’idée de réclamer de l’argent à un enfant. Elle s’y résigna néanmoins.

« Mais ça ne sera pas gratuit. », dit-elle finalement à contrecœur.

« D’accord. Le prix comprend un dîner chaud ? J’aimerai bien me réchauffer… », répondit-il avec un sourire au coin des lèvres.

« Hé bien… Oui, il reste un peu de nabe… », fit-elle après réflexion.

Un renâclement impatient retentit au-dehors.

« Je m’occupe de mon cheval et je vous rejoins à l’intérieur ? », proposa-t-il.

Elle hocha la tête, et se servit de la flamme de sa lampe pour allumer celle de l’appentis. Tandis qu’il faisait coulisser la porte en grand pour permettre à l’équidé de passer, elle s’éloigna, avant de se retourner brusquement.

« Au fait, quel est ton nom ? », s’enquit-elle au milieu de la pluie. Le tutoiement lui semblait naturel, face à quelqu’un de si jeune.

Il se retourna, et il y eût un instant de silence, comme s’il était surpris par la question.

« Katsuro. », lâcha-t-il finalement.




« Kamiko ! »
« Allez, viens! »

Ignorant les cris joyeux et les rires espiègles, je lève les yeux. Le ciel. Bleu. Étincelant, même. Je tends ma main vers le soleil, dans l’espoir vain de l’attraper. J’ai de petits doigts au bout d’un bras court. Comment peut-on être si petit ? Ma main paraît absurdement potelée, bizarrement accrochée à un corps maigrichon. Un jouet gonflable au bout d’une branche racornie.

« Kamiko… Viens avec nous ! »

Un murmure pressant. Il fait froid, à présent, le ciel a disparu et j’ai quitté mon corps d’enfant pour réintégrer celui de l’adolescente de quatorze ans que je suis. Je pose mes yeux sur mes demi-frères. Deux d’entre eux. Ils ont des yeux bleus comme la nuit, un bleu marine tout doux, tout velouté. Leurs cheveux couleur paille semblent n’être là que pour rehausser leur regard empli d’une joie intense. La joie de vivre sans doute. Une allégresse que la solitude ne semble pas entacher. Peut-être parce qu’ils sont deux, depuis toujours, aujourd’hui et à jamais. La force des jumeaux Keisuke et Kôsuke. Même dans cet air glacial qui me fait frissonner, ils rayonnent. J’ai toujours trouvé un peu incongru que ces deux garçons aux airs angéliques grandissent dans la crasse d’Ishigaki.

« Kamiko… »

Une supplication, presque un gémissement. Ils pleurent désormais. Le cœur serré, je les regarde s’accrocher l’un à l’autre, comme deux âmes perdues sur un radeau en plein océan.

« J’ai peur… », murmure Kô en serrant son frère plus fort encore.
« Nous abandonne pas ! Kamiko… Nous laisse pas seuls ! T’as pas le droit de nous faire ça… »

Le regard bien droit de Kei, planté dans le mien, me paralyse. Il a raison. Tous les deux bien plus vieux que moi, ils m’ont toujours protégée, montré le chemin, et des astuces qui m’ont sauvé la mise plus d’une fois. Je ne peux pas les abandonner sur cet océan infini. J’ai envie de me jeter sur eux mais je ne peux pas bouger, et mes lèvres scellent au fond de moi les mots qui voudraient sortir.

« KAMIKO ! »

Un hurlement dans lequel se mêlent intimement reproche et imploration, et qui me fait sursauter en me détournant de l’insecte. Leurs images se floutent. Kô qui se tait semble déjà disparaître. Mes jambes retrouvent soudainement leur mobilité, et je fais quelques pas dans leur direction.

« Kamiko ! »

Je m’immobilise, hésitante.
Quelle est cette voix faible qui se fraye un difficilement un chemin jusqu’à mon esprit ?

« Kamiko ! »

Plus forte, cette fois. Je veux l’ignorer, mais elle est là, elle m’enveloppe. Mes frères ont besoin de moi, tant besoin… Déjà, ils me tournent le dos et partent à l’horizon. Je veux les suivre, que cette voix se taise et me laisse partir à leur suite. Cependant, je suis curieuse… M’appelle-t-elle vraiment Kamiko, cette voix impérieuse? Je ne suis plus sûre, on dirait… Un peu… Ka… ?

« Kaname ! »

Les ténèbres se déchirent, et la nuit est là. Hazuki-sensei aussi. Il pose sa main sur ma joue humide. J’ai le col trempé.

« Tu as le sommeil profond… Pourquoi pleures-tu ? », demanda-t-il avec douceur.

« Il faut que je rentre à Ishigaki ! »

Lentement, je reprenais conscience. Un horrible pressentiment me tenaillait, et il fallait que je retourne en ville. Pour aider les jumeaux. Je ne m’aperçus même pas de la surprise qui passa sur le visage de mon maître. Je ne lui avais jusqu’alors pas avoué d’où je venais, et même s’il se doutait de mon origine citadine, il ne m’imaginait pas venue de la terrible Ishigaki.

De grosses larmes roulaient sur mon visage, et à travers elle, je reconnaissais le bosquet où je m'étais endormie. Malgré les sons qui s'échappaient de ma gorge serrée, le bruit familier de la rivière près de moi me parvenait.

« Il le faut… », murmurai-je.

Il me serra alors dans ses bras. Surprise, je me raidis en tentant de reculer. Je n’avais jamais été habitué à ce genre de comportements affectueux, et surtout pas de sa part. Cependant, brisée par la fatigue et mon cauchemar, je finis par m’abandonner peu à peu à son étreinte pour sangloter contre son épaule.

« Pourquoi ? », me demanda-t-il lorsque je me fus calmée.

Me dégageant, j’essuyai mes larmes en frottant mes yeux rougis.

« Parce qu’il le faut. », répétai-je, entêtée.

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