Si il y a bien une chose que Tokito avait toujours pressenti, c'est qu'elle n'avait pas le droit à l'erreur. Tout d'abord elle était une femme, et si il y avait bien une chose que son père lui avait amoureusement rappelé jusque sur son lit de mort, c'est que cela ne jouait pas spécialement en sa faveur. Mais elle n'était pas simplement la fille d'un père capable des meilleurs encouragements, elle était la fille de Kôkin Aisu. Et ça c'était déjà autrement plus compliqué. L'honneur du clan était en jeu, échouer dans son apprentissage serait un véritable affront à tout ces hommes dont le courage avait conduit les Aisu jusqu'au sommet. D'éternelles victimes, ils étaient devenus des hommes de pouvoir au sein du pays de l'eau. Des hommes, mais également des femmes, c'est du moins ce que s'était toujours efforcé de prouver la jeune kunoichi, et ce depuis son plus jeune âge.

Et si son père n'avait eu que peu d’intérêt à l’entraîner, il n'en avait heureusement pas été de même pour tous. Il avait suffi d'une rencontre pour que la timide et solitaire jeune fille qu'elle était jusqu'alors, assume finalement pleinement son nom. Encore aujourd'hui, c'est avec un mélange de respect et d'admiration que Tokito aimait à se rappeler la première fois que son chemin avait croisé celui de Tomoe. Cette dernière était l'exemple même de ce que la jeune Aisu n'avait jamais cru possible jusqu'alors : une femme épanouie et une ninja accomplie. Toujours dévouée à la cause du village et ne se plaignant jamais qu'importe les taches qui lui incombait, elle était devenue un exemple pour toutes les femmes du pays. Quand elle se présenta comme leur nouveau sensei, sa réputation l'avait donc déjà précédée. Mais plus évocateurs encore furent les paroles qu'elle leur adressa :

Tomoe - Que ceux qui pensent être là dans le but d'apprendre religieusement l'abécédaire du parfait ninja de A à Z rentrent chez eux et ne reviennent pas. Qu'importe vos attentes quand aux années qui suivront, sachez qu'elles ne seront pas récompensées. Ce qui vous attend ne sera ni mieux, ni pire que l'idée que vous vous faites de la vie de ninja. Vous n'êtes plus des enfants, je sais que certains d'entre-vous ont déjà perdu des proches, d'autres viennent de familles ayant obtenu gloire et prestige à force d’entraînement et de persévérance...

Tandis qu'elle prononçait ces derniers mots, le regard de la jeune femme se posa sur Tokito, et une fois de plus le poids de son héritage sembla se matérialiser au-dessus de ses épaules, comme autant de sacrifices fait au nom de la survie de sa famille.

Tomoe - Ni mieux, ni pire donc. En réalité vous n'avait simplement aucune idée de ce qu'est la vie d'un ninja. C'est là que j'interviens. Je ne suis pas ici pour vous bourrer le crâne à coup de théories et de sages paroles. Je suis ici pour vous apprendre un nouveau mode vie, un mode de survie. Il ne s'agit pas d'apprendre le rôle de ninja jeunes gens, mais de devenir des ninjas.

Évidemment, il ne suffit pas de cette simple entrée en matière pour que sa jeune élève se sentit pousser des ailes et ne se délivre de ce sentiment d'infériorité caractéristique d'une enfance vécue sous le regard méprisant de son père et en l'absence de sa mère, partie voir si l'eau n'était décidément pas plus bleue ailleurs. Mais il avait eu pour intérêt une chose jusqu'alors inenvisageable pour cette adolescente encore apeurée et si exigeante avec elle-même : pour la première fois elle avait envisagé la possibilité d'un jour devenir une femme reconnue et respectée en tant que tel.

Un mois plus tard, jour pour jour, l'idée avait fait son chemin ; ne manquait plus qu'un élément déclencheur, la preuve qu'en s'autorisant un peu d'espoir Tokito ne risquait pas, une fois encore, de s'y brûler les ailes. Depuis la mort de son père, elle vivait seule. L’entraînement était devenue un moyen sûr de vaincre l'ennui. Comme tout les soirs, elle se rendit au parc Hakuchou ; la présence de la mer en contrebas en faisait un lieu privilégié pour laisser libre cours aux tensions de la journée, quant à la lune qui commençait tout juste à faire son apparition, elle rajoutait une touche mystique au décors, ce qui n'était pas pour déplaire à la jeune Aisu.

Elle posa son sac puis recula de 5 pas et ferma les yeux. Quelques secondes plus tard, sa respiration et son rythme cardiaque avaient ralenti et c'est désormais totalement concentrée qu'elle commença à malaxer son chakra. Des gestes qu'elle avait déjà répétés des centaines de fois et qui se faisaient à chaque fois un peu plus sûrs, cela faisait déjà plusieurs mois que la maîtrise de son chakra était plus que correcte. C'est l'air déterminée qu'elle se rapprocha de la mer, et sans quitter ses mains des yeux, elle enchaîna les signes. Après quelques minutes de flottement, elle porta son regard vers l'horizon...rien, le calme plat.

? - Sans vouloir être présomptueuse il semblerait que la réputation des Aisu soit quelque peu surfaite...

Après des heures à n'entendre que le bruit des vagues et de ses propres pas, la surprise de Tokito fut telle qu'elle oublia toute maîtrise et manqua de peu d’atterrir lourdement aux pieds du nouvel arrivant. En l’occurrence, de la nouvelle arrivante.

Tokito – Sensei ? Que faites vous ici ? Je ne vous ai encore jamais vu vous aventurer par ici...

Tomoe – Ce qui répond à ma question en ce qui concerne la fréquence de tes entraînements, et explique pas mal de choses. Je me suis peut être trompée sur ton compte finalement...

Tokito – Je...je ne suis pas sûre d'avoir vraiment saisi sensei, vous me cherchiez ?

Tomoe – Je pensais te chercher, là est la différence. J'ai du me méprendre sur tes aptitudes et aspirations, peu importe...ne soit pas en retard demain.

Sur ces mots, la jeune femme commença à rebrousser chemin, disparaissant à nouveau dans l'ombre.

Tokito – Attendez ! Pourquoi me répondez-vous par énigme ? Je...j'en ai assez de cet éternel discours, si vous devez me juger de pareille manière regardez moi au moins en face !

Tomoe – Et insolente en plus ! Donne moi une seule bonne raison de perdre mon temps avec toi ?

Et c'est avec un aplomb qui l'étonna elle-même que Tokito rétorqua d'une voix forte et qu'elle ne reconnut pas comme la sienne :

Tokito – Vous n'avez pas besoin que je vous donne une bonne raison d'être ici, vous ne seriez pas là si vous ne l'aviez pas déjà trouvée. A moi de vous retourner la question, qu'attendez vous de moi ?

Tomoe - ...Voilà qui est mieux. Si tu penses valoir mon attention, prouve le moi. A partir de maintenant je t'attendrais ici chaque matin avant le lever du jour. Tu peux continuer de t’entraîner de ton côté mais tâche de te reposer, je ne compte pas te faire de cadeau. Et tâche de ne pas me décevoir, un seul retard et j'arrête immédiatement cette petite expérience.

Tokito – Hein ?...Euh c-comptez sur moi Sensei,...je ne vous décevrais pas !

Tomoe – Assez de blabla, désormais c'est ton destin qui est en jeux. Maintenant arrête tes singeries et va te coucher, demain sera une longue journée.
Et dire que Tomoe n'avait pas menti aurait été un euphémisme.

Dès l'aube, Tokito fut rejointe par son aînée ; mais cette dernière n'était pas seule.

Tokito – C'est qui lui ?

Tomoe – Ton nouveau coéquipier, mais sans doute pas ton nouveau meilleur amis si tu continue à faire allusion à lui de la sorte. Tu as visiblement beaucoup à apprendre jeune fille.

C'est rouge de honte et agacée de s'être ainsi laissée aller que la jeune fille reprit :

Tokito – Pardon pour mon manque de tact, je me présente je suis Tokit...

? - Pas la peine de te présenter, je sais qui tu es et on a déjà perdu pas mal de temps, d'après Tomoe-sensei tu rencontres quelques difficultés avec une technique suiton, c'est ça ? Suis-moi !

Ce faisant, le jeune homme brun se dirigea vers le rivage, et Tomoe se hâta de le suivre sous le regard amusé de leur professeur.

Tokito – Tu connais peut être mon nom, mais il ne me semble pas connaître le tien, peut être pourrait tu te présenter pour commencer ?

? - Je m'appelle Ren et c'est tout ce que tu as besoin de savoir sur moi pour l'instant. Commençons maintenant, à quelle technique comptais-tu t'attaquer, oh jeune prodige ?

L'ironie employée par le garçon n'échappa pas une seconde à Tokito, et c'est quelque peu agacée qu'elle lui répondit :

Tokito – Le dragon aqueux...

Ren - Et c'est pour ça qu'on m'a fait venir ? Une Aisu qui n'arrive pas à produire un dragon aqueux ? Dis moi, tu es sûre de ne pas vouloir rentrer chez toi jouer à la poupée plutôt ? Des trucs de ton âge quoi.

Tokito – De quel droit t'adresses-tu à moi de la sorte ? Sache une chose, c'est que tu ne me connais pas et que tu n'es en aucun cas en position de me juger !

Ren – Une gamine avec du répondant hein ? Eh bien essaye donc de me prouver ce que tu vaux, je serais tout à fait apte à te juger en fonction de ce que tu peux bien avoir à montrer.

A ces mots Tomoe, qui jusque là s'était faite discrète, eu un léger sourire que Ren choisit d'ignorer, et que la jeune Aisu ne sembla pas remarquer.

Ren – Commence à malaxer ton chakra, on a pas non plus la journée.

Aussitôt la jeune kunoichi s'exécuta, et ce sans mal, ce n'était certes pas cette étape qui lui posait le plus de problème.

Ren – Pas mal pour un début...Bref, maintenant essaye de visualiser ton dragon. Tu penses pouvoir y arriver ?

Tokito – C'est à dire que...père n'a jamais tenté de m'enseigner cette technique et je n'ai aucun modèle, je n'ai aucune idée de comment commencer et je...

Ren – Bla, bla, bla...arrête de pleurnicher, c'est pas ce que je t'ai demandé ; mais qui m'a collé une cruche pareil, je vous j...

Tomoe – Assez ! Ren, si j'ai fais appel à toi c'est parce que tu as une longueur d'avance sur ta camarade et qu'il était primordial que vous fassiez connaissance, inutile de créer des tensions au sein du groupe dès le premier jour, vous aurez bien assez des missions qui nous attendent pour apprendre à vous détester. Quand à toi Tokito, si je t'ai offert mon aide ce n'est pas pour t'entendre te plaindre en permanence, il est temps que tu dépasses ce stade. Maintenant lance toi et tente de faire de ton mieux, c'est tout ce que je te demande pour l'instant.

A ces mots la jeune Aisu choisit de répondre par le silence, mais c'est avec un air résolu qu'elle s'écarta des deux autres ninjas et se plaça face à l'étendue saline qui leur faisait face. Cette imposante étendue d'eau la rassurait, au moins elle n'aurait pas de mal à utiliser son hydrolyse, et vu les difficultés qu'elle rencontrait déjà quand à la création de son dragon, ce détail n'était pas négligeable.

Une fois sûre du contrôle de son chakra elle fit appel à sa mémoire, et c'est en ayant en tête les gravures de la bibliothèque personnelle de son père, qu'elle dirigea son énergie vers l'eau dans le but de lui donner forme. Tout d'abord elle n'eut pour seul résultat qu'un vague tourbillon qui lui rappelait plus le siphon de son lavabo qu'un majestueux dragon, puis l'eau commença lentement à serpenter.

Ren – J'avoue que la technique du ver de terre aquatique m'était jusqu'alors tout à fait inconnue, tu penses que tu pourrais me l'apprendre ?

Bien que ressentant déjà une certaine lassitude à l'écoute des commentaires du brun, Tokito ne pouvait certes pas lui nier tout intérêt. Certes le jeune homme se fichait on ne peux plus d'elle, mais si son manque d’expérience semblait être sa cible favorite, à aucun moment il n'avait été question d'une impossibilité à réaliser cette technique en tant que femme. Et c'est avec un léger sourire au lèvres que la jeune fille libéra un peu plus de sa puissance, restant sourde au léger étourdissement qu'elle commençait à ressentir. La colonne d'eau qui commençait doucement à lui faire face gagna un peu en hauteur quand elle entendit la voix de Tomoe :

Tomoe – Continue comme ça, essaye de te concentrer sur les détails. C'est le dragon aqueux que tu tente de réaliser, pas une vulgaire fontaine.

Tokito ferma alors lentement les yeux, tentant de retracer de son esprit chaque contour du dragon des livres de son enfance. Quand elle les rouvrit, c'est désormais une copie nettement plus réaliste qui lui faisait face. Captant du coin de l’œil l'air satisfait de son sensei, elle choisit par jeux d'envoyer son œuvre se briser sur les rochers, éclaboussant son nouveau camarade au passage.

Ren – Je suppose que c'était mérité...toujours est-il que vous n'avez visiblement plus besoin de moi.

Il jeta un coup d’œil à Tomoe qui hocha la tête.

Tomoe – C'est bon, tu peux vaquer à tes occupations. Rendez-vous après le déjeuner pour votre premier entraînement de groupe, soit à l'heure.

Le jeune homme n'en demandait pas plus, et il se hâta en direction du village.

Tomoe – Bien, il semblerait que tu ai fais le bon choix. Souvient toi d'une chose, seuls tes actes changeront les choses ; les larmes ne servent à rien.


C'est donc dans cet état d'esprit que la jeune kunoichi s'était lancée dans cette nouvelle aventure. De ce lourd héritage et des attentes de son clan elle avait fait sa force : devenir plus forte était la voie qui lui était offerte. Le jour viendra où il lui faudra inscrire son nom dans l'histoire, celle de son clan mais également de Kiri. Après tout c'était son destin, elle était Tokito Aisu et avait une légende à écrire.