Les Sibyllines

Il n’y avait pas un seul bruit pour taire celui des oiseaux matinaux. Le ciel était encore largement dominé par le bleu cobalt mais déjà la lueur rose de l’aube s’avançait à l’est. Yachiru contemplait l’immensité du ciel avec admiration tandis que ses doigts resserraient sur sa peau l’étau formé par les deux plis de son kimono pour la préserver de la fraîcheur ambiante. De manière presque inévitable, elle se remémora les événements de la veille: son discours devant le Concile, la longue attente qui s’en était suivie, puis le verdict unanime, fort, de ses pairs, faisant d’elle le nouvel Hokage. La Nidaime, comme on l’appellerait désormais.

Ces sentiments étaient encore confus à ce sujet. Un peu comme si une partie d’elle refusait encore de croire ce qui c’était pourtant bel et bien produit. Son sommeil s’en était d’ailleurs particulièrement ressenti.

Une nuit d’insomnie complète lui avait néanmoins permis d’explorer plusieurs pistes de réflexion ; des plus importantes aux plus futiles. Parmi ces pistes, une en particulier avait longuement accaparé ses pensées: la nécessité de posséder un réseau d’informations et de contre-informations solide. Yachiru avait étudié le problème sous toutes les coutures, une seule solution lui était apparue capable de combler ce manque: la création d’un groupe de renseignements digne de ce nom, composé entre autres de shinobis compétents et de civils rigoureusement sélectionnés pour l’étendu de leur propre carnet d’adresses. Un mélange hétéroclite qui recevrait pour mission d’agrandir la base de données du village sur ses futurs alliés et ennemis. Quant à trouver quelqu’un pour prendre la direction des opérations, Yachiru n’avait pas ressenti le besoin de regarder bien loin pour dénicher sa perle rare.

Reiko – Hokage-sama, Reiko, au rapport. Selon votre souhait, votre invitation a bien été remise à Haruka Uchiha. Voici sa réponse écrite.

Yachiru détacha son regard du ciel limpide pour le poser sur la kunoichi que le Concile avait jugé bon d’attacher à son service exclusif.

Yachiru – Merci Reiko. Tu peux disposer.

Elle déplia le papelard où sinuait l’écriture hasardeuse de son amie sans doute mal réveillée au moment de sa rédaction: J’espère que tu as une excellente raison de me sortir d’un rêve particulièrement délicieux. Thé vert et gâteau de riz pour moi, merci. Elle sourit pour elle-même en imaginant un instant la tête hérissée de son amie à la sortie du lit. Le rang d’Hokage avait ça de bon que personne ne pouvait vous dire non.

Une demi-heure plus tard, Yachiru épongeait son front en achevant les derniers préparatifs du petit-déjeuner. Sur deux plateaux distincts elle disposa un bol de thé fumant, une assiette pour l’assortiment de gâteau de riz aux trois saveurs et une soucoupe de sauce caramel dont elle avait le secret. Le tout termina sur la table basse du salon, à côté d’une lanterne en papier qui diffusait une douce lumière orange.

Haruka – Le Concile aurait pu t’offrir les services d’un cuisinier au lieu de te donner une insupportable secrétaire.

Yachiru releva le menton et sourit. Haruka avait visiblement pris le temps de s’habiller et se coiffer convenablement. Un fait assez rare de bon matin pour être souligné.

Yachiru – Tu aurais détesté son gâteau de riz et notre discussion n’en aurait que plus mal commencé. Je préfère encore faire les choses à ma façon.

Haruka – Regarde-toi, tu maîtrises déjà tous les mécanismes de la négociation en terrain hostile. De toute manière, dès lors que ton gâteau de riz pèse dans la balance, tu es imbattable. En tout cas en ce qui me concerne, tu pourrais me demander n’importe quoi après ça.

Yachiru – Alors viens t’asseoir si tu ne veux pas que ton assiette refroidisse. Il faut que nous discutions de choses et d’autres. Nous risquons d’en avoir pour un petit moment ; autant que tu aies le ventre plein.

Haruka lui décocha d’abord un regard suspicieux puis, voyant qu’elle n’y donnait suite, s’assit face à elle sans piper mot. Yachiru la regarda se saisir de ses baguettes puis commencer à picorer la grande portion de gâteau de riz qu’elle lui avait servie afin d’en savourer chaque bouchée comme si c’était la dernière. Voir que sa récente nomination ne changeait absolument rien au comportement d’Haruka la soulagea d’un poids considérable. Celui que lui avait laissé la peur de devenir une étrangère aux yeux de sa meilleure amie, simplement parce qu’en l’espace de quelques heures elle s’était en plus de ça imposée comme sa supérieure hiérarchique.

Haruka – Je suppose que la nuit a été courte pour toi aussi ?

Yachiru hocha la tête sans commenter.

Haruka – Le contraire m’aurait étonné. Moi non plus je n’en reviens toujours pas. Ma meilleure amie nommée Hokage. Je crois que rien ne pouvait réellement nous préparer à ça.

Et comment, songea Yachiru. Par son aisance à se projeter dans l’avenir, elle avait à plusieurs reprises tenté par le passé d’imaginer ce que serait sa vie si elle devenait Hokage. Mais aucune des ses projections n’étaient jamais arrivées à la cheville de la réalité dans laquelle elle se trouvait immergée depuis moins de vingt-quatre heures. La rendant plus déstabilisante encore.

Yachiru – Le temps fera son oeuvre, comme toujours. Je suppose en tout cas.

Se fut au tour d’Haruka d’hocher la tête d’un air absent.

Haruka – Sinon, qu’est-ce que tu avais de si important à me dire qui ne pouvait attendre que le soleil brille dans le ciel ?

Yachiru avala une gorgée de thé et se surprit à admirer l’aura douce et lumineuse qui entourait la lanterne posée sur la table.

Yachiru – J’ai eu le temps de réfléchir cette nuit. J’aimerais que tu te charges de quelque chose pour moi... Il me faudra du temps pour apprendre à connaître mes nouveaux collaborateurs et presque autant de temps pour leur déléguer ma confiance. Konoha ne dispose pas de ce laps de temps pour traiter certaines affaires. Je n’ai donc d’autre choix que celui de me tourner vers les personnes à qui ma confiance est déjà toute acquise.

Haruka – Moi.

Yachiru la regarda du coin de l’oeil.

Yachiru – Toi.

Une expression amusée illumina soudain le visage de la Uchiha.

Haruka – Le goût incomparable de ton gâteau de riz m’a mise dans de bonnes dispositions. Profites-en, c’est le moment de me demander tout et n’importe quoi.

Le sujet doit être déplacé.