« Le Monde est un endroit dangereux » avait l’habitude de dire son père, et Kaede en avait pris la pleine mesure, jour après jour, année après année. Elle avait vu mourir sa famille. Elle ne l’avait jamais aimé, mais ils étaient des guerriers de valeur. Et pourtant ils étaient morts. Elle avait vu se remplir de nouveaux noms la stèle de pierre où l’on gravait l’ultime hommage à ceux qui ne revenaient pas. Tous savaient se battre. Tous étaient vifs, réactifs, puissants. Quand ils jetaient un kunaï, ils touchaient leur cible. Quand ils concentraient le chakra qui coulaient dans leur organisme, c’était pour en faire une arme, une arme pure, un morceau de puissance tombé chez les hommes. Et pourtant, ils étaient morts. Un plus rapide qu’eux avait planté dans leur cœur une lame miroitante. Un plus astucieux qu’eux avait su déjouer leur plan. Un plus puissant qu’eux les avait arrêtés dans leur course.

C’est à cela que pensait en Kaede.

Pas uniquement, bien sûr, mais en grande partie. Son esprit vagabondait cependant vers d’autres sujets moins pesant, lui faisant parfois remarquer la beauté toute délicate d’une fleur dans le parc de Kiri, ou la fraicheur bienvenue du vent salé. Mais ce n’était que diversion temporaire. Kaede pensait au combat.

« Tu dois devenir un arme ». C’était ce qui lui répétait, encore et encore, le patriarche du clan Uriyama. Devenir une arme. Le cousin de Kaede. Son grand frère. Ses oncles. Ses tantes. Ils étaient tous devenus des armes. La jeune kunoichi ne put s’empêcher de les imaginer, statues d’acier aiguës déplacées avec lenteur et détachement par le maître du clan.

Evidemment, elle n’était pas la première à s’interroger, aux hasards d’une promenade nocturne, sur la condition des shinobi, et sur ce qui pouvait amener un homme à en tuer un autre qu’il ne connaissait pas, pour la bonne et simple raison qu’il s’agissait de sa mission. « Tu vois cet homme ? Il ne m’obéit pas, alors tue le », et on tuait. Les shinobis possédait de nombreuses choses : ils possédaient une puissance hors du commun, ils possédaient d’énormes avantages, mais jamais au grand jamais ils ne possédaient leur propres vies. Fidèles à leur village, leur existence était un bien dont ils faisaient cadeau à leur Kage. Quant aux déserteurs, ils mettaient leur vie dans les mains de divinités capricieuses – Chance, Hasard… - qui la leur reprendraient systématiquement quand ils s’y attendraient le moins.

Kaede ne dirait probablement jamais cela à voix haute. Il était peu probable qu’elle s’attire de gros ennuis si elle le faisait un jour, mais dans sa situation, il était téméraire de jeter de l’huile sur le feu en faisant clairement entendre ce que d’autres prendraient – à tort – pour de la sédition ! Aussi se taisait-elle.

Tout en se perdant dans ses ruminations internes, Kaede n’avait pas cessée de marcher. Elle était partie en fin de soirée de son appartement, et s’était glissée à pas lents à travers les ruelles du villages jusqu’au parc Hakuchou, qu’elle avait dépassé tandis que la nuit finissait de tomber sur les îles de Kiri. Puis elle avait suivi le sentier isolé que personne n’utilisait et qui menait jusqu’à un minuscule plage. Loin du village et difficile d’accès, cela garantissait à Kaede la tranquillité qu’elle cherchait. Si on y ajoutait l’heure tardive à laquelle elle mit finalement pied sur le sable, les chances d’y croiser une autre âme étaient minimes.
La kunoichi observa les alentours et eut un sourire en constatant que ses prévisions s’étaient avérées exactes, et que personne ne viendrait la déranger. Elle laissa tomber à terre son sac et en sortit sa tenue de combat. Elle fit glisser à terre le kimono qu’elle portait quand elle était en civil et qu’elle mettait lorsqu’il lui fallait se déplacer dans le village, pour une raison qui lui était inconnue, elle n’aimait arborer l’uniforme ninja à outrance. Le vent rabattit sur sa peau nue de fines gouttelettes d’eau de mer qui lui arrachèrent un léger frisson. Elle enfila sa tenue aussi vite qu’elle le put et jeta un œil au ciel. Il avait fait un temps magnifique ce jour-là, et le lendemain serait probablement aussi radieux, car aucun nuage ne faisait mine de masquer les étoiles. La lune luisait si fortement que la plage était plongée dans une douce clarté largement suffisante pour Kaede.

La jeune fille souffla d’un coup tout l’air qui se trouvait dans ses poumons, et, joignant les mains devant son torse, commença à rassembler en elle son chakra. Tandis qu’elle s’exécutait, elle sentit jaillir en elle un sentiment de puissance qui ne lui était pas familier. A mesure qu’elle s’empressait de canaliser cette énergie, un mince sourire se dessina sur son visage.

Si quelqu’un s’était trouvé là, et observait attentivement la genin, il n’aurait probablement pas compris ce qu’il se passait en elle. En fait, elle même n’avait pas encore parfaitement saisit le changement qui s’était opéré au sein de sa personnalité au cours de ces dernières semaines. Kaede avait toujours été quelqu’un de plutôt faible. Elle n’était pas un génie et n’égalait que difficilement la plupart des autres genins. Physiquement peu puissante, et mentalement peu sûre d’elle, elle s’était résolue depuis des lustres à devenir une Chuunin ordinaire et à s’en contenter. Mais plus maintenant. « Le Monde est un endroit dangereux ». Cette phrase lui avait tourné encore et encore dans la tête. Il lui fallait devenir dangereuse elle aussi. Aussi ridicule que pouvait sembler être son état d’esprit, Kaede était à présent résolue à devenir douée. Elle serait puissante. Elle prouverait à Kiri sa loyauté. Elle prouverait à ses amis qu’ils avaient eu tort de la sous estimer.

Kaede ferma les yeux et se remémora le rouleau qu’elle avait dévoré des yeux plus tôt dans la journée. Elle avait déjà compris depuis quelques temps qu’il lui manquait des moyens de défense, et c’était pour cette raison qu’elle avait cherché plusieurs heures une solution pour pallier à ce manque. Et elle avait trouvé.

Libérant son chakra, elle attira à elle l’humidité du lieu. De fines gouttes d’eau se matérialisèrent le long de son épiderme. Ce n’était toujours pas assez, aussi la gennin continua à se concentrer. Les gouttes glissèrent les unes vers les autres, s’assemblant en petites flaques collant toujours à sa peau. Puis à mesure que Kaede laissait suinter par les pores de sa peau une quantité de chakra toujours plus forte, elle fit durcir cette fine pellicule, tâchant par ce biais d’en faire une véritable armure.

« Mizu no Tate » murmurra-t-elle.

Le Bouclier d’eau. Elle avait plusieurs fois entendu parler de cette technique qui consistait à s’entourer d’une eau imbibée de chakra censé limiter la puissance des attaques adverses. Et lorsqu’elle avait enfin mit la main sur un rouleau permettant de l’acquérir, elle n’avait pas hésité une seule seconde.


Il ne fallut pas longtemps à Kaede pour se rendre à l’évidence : elle galérait. Sans les conseils avisés d’un professeur à ses côtés, elle n’arrivait pas à grand chose. Soit elle ne maintenait pas un flux de chakra suffisant pour former une couche protectrice acceptable, soit au contraire elle déversait un flot d’énergie qui la vidait de ses forces en quelques secondes à peine et qui représentait, à tous les niveaux, un immense gâchis. La genin eut l’image fugace d’un robinet qu’on n’aurait pu régler que sur « goutte à goutte » ou « violente cascade », et du admettre dans un sourire que cela correspondait assez bien à sa situation… Mais elle ne comptait pas abandonner pour autant. Ce n’était ni la première fois, ni la dernière fois qu’elle était confrontée à ce genre de problème. Le souvenir de ses tentatives piteuses de marche sur l’eau lui revint en mémoire. De même que la manière dont Ayumi lui avait montré ses traces de pas dans le sable, et lui avait expliqué comment y lire la répartition de son poids. C’était exactement la même chose aujourd’hui : il fallait que Kaede parvienne à s’envelopper avec justesse d’une pellicule protectrice.

Kaede aurait, peut-être, pu arriver à un résultat à peu près satisfaisant il elle n’était pas retombé dans son défaut le plus rédhibitoire. Le manque de concentration. Oda l’avait de nombreuses fois réprimandée à ce sujet, et elle avait quelques progrès dans ce domaine, mais encore et toujours, une part de son esprit s’envolait de la situation présente pour se tourner et se retourner dans des doutes et des souvenirs. Cette fois là n’y faisait pas exception.
Alors qu’elle essayait en vain d’obtenir des résultats dans le lancement du Bouclier d’Eau depuis bientôt un heure, Kaede ne parvenait pas à chasser de son esprit les doutes qui lui subsistaient depuis la mission de la veille. Elle y avait acquis la certitude que quelqu’un avait voulu protéger la demeure des Uriyama. Mais qui ? Qui avait intérêt à bloquer l’enquête des loyalistes en bâclant ainsi la fouille de la maison ? Car la fouille avait du être bâclée ! La veille, il n’avait fallu que quelques heures aux hommes d’Hayao – un enquêteur de Kiri – pour découvrir un paquet qui les avait visiblement particulièrement intéressés. Sans vouloir remettre en question la compétence d’Hayao, mais ce paquet aurait déjà du être trouvé… Alors qui avait empêché cette découverte ? Un enquêteur ? Un rebelle ? Peut-être quelqu’un avait-il fait chanter un de …

Kaede fut interrompu dans ses réflexions par une brusque secousse musculaire. Sa concentration ayant été interrompue, elle avait laissé échapper beaucoup trop de chakra. L’espace d’un instant, elle se sentit comme exsangue, et crut qu’elle allait tourner de l’œil, mais elle parvint à reprendre ses esprits. Elle s’assit lentement sur le sol et fixa la mer, les membres encore tremblants. La dernière fois qu’elle s’était sentie aussi faible, c’était lorsqu’elle s’était réveillée à l’hôpital après être tombé dans les pommes suite à un manque de chakra. Et elle n’avait aucune envie de recommencer. Avec un soupir, elle se résolue à rentrer chez elle. Peut-être, demain, Ayumi accepterait-elle de l’aider à maitriser cette technique ? Quoi qu’il en soit, elle n’y parviendrait pas seule.

Peut-être, si Kaede n’avait pas été aussi fatiguée, aurait-elle pu détecter la nouvelle arrivante avant que cette dernière ne parle, mais il n’en était rien, et l’adolescente sursauta en entendant la voix retentir dans le silence apaisant de la plage.

« Eh bien, tu mets beaucoup d’ardeur pour ton entrainement, je ne savais pas qu’il y avait d’autre personne dans ce village qui venait par ici en pleine nuit, entendit-elle. Mais si tu veux un conseil, n’en fait pas trop, vouloir acquérir plus de puissance par l’entrainement est un but louable, cependant si tu continues ainsi tu pourrais y laisser ta peau et tu as l’air épuisée… tu devrais te reposer un peu. »

Kaede se retourna vivement. D’un bond, elle fut sur ses pieds, et tâcha de rester aussi digne que possible. « Tu vois, songea-t-elle, même la première venue est capable de voir que tu déconnes complètement. Ca t’as pas suffit de te retrouver une fois à l’hopital, hein ? T’es dingue ma pauvre… ».
Kaede détailla un moment son interlocutrice. Cette dernière était… Magnifique… Parfaitement proportionnée, et cheveux de rêve, elle devait hanter le cœur de bien des garçon. Kaede s’en voulut de n’avoir pensé à rien d’autre qu’à ce genre de détail. Des shinobis expert auraient été capable de déterminer à la musculature et au maintien de la nouvelle arrivante si elle pratiquait ou non la taijutsu, et Kaede se contentait d’admirer la plastique. La genin chercha ses mots un instants, puis déclara :

« Ah… Euh… Bonjour… Enfin Bonsoir… Oui je sais, je devrais faire plus attention… »

C’était nul. Il était probablement difficile de trouver une réponse plus plate. « Oh puis merde, soyons honnête », songea Kaede, je ne vais pas me la jouer détendue alors que je stresse complètement ! »

« Excuse moi, je bafouille, mais je ne pensais pas tomber sur quelqu’un ici à cette heure là … Je suis Kaede » ajouta-t-elle d’une voix un peu plus posée.

« Il ne faut pas être intimidée comme cela, nous sommes du même bord, après tout moi aussi je suis shinobi de Kiri, en à ce qui semblerait. On m’appelle Aiko, de la famille Katsuni. Moi aussi je ne m’attendais pas à trouver des gens hors du village à cette heure-ci. Vous vous entrainez souvent aussi tard ? »

Aiko, avait remarqué Kaede, semblait en décalage, comme si elle-même ne savait pas dire avec exactitude si elle était là où elle semblait être, où si elle se trouvait quelque part, loin de tout, plongée dans ses souvenirs et ses pensées les plus intimes.
« Elle me vouvoie », remarqua Kaede. Pour peu sociable qu’elle ai été depuis sa petite enfance, vouvoyer quelqu’un qui n’avait qu’une poignée d’années de plus qu’elle lui faisait bizarre. Voulant rendre moins solennelle la rencontre, Kaede fit mine de serrer la main à Aiko. A la dernier seconde, cependant, elle se souvint que ses mains étaient particulièrement moites et que ce ne serait pas vraiment un cadeau agréable à faire Aiko. Aussi se figea-t-elle en plein mouvement, espérant que ce ne serait pas pris comme un affront.

« Je ne t’ai jamais croisé… je ne croise pas grand monde en fait… » dit Kaede, espérant par là faire diversion. Elle réalisa trop tard qu’elle n’avait inconsciemment abandonné la vouvoiement… « Merde… Bon, foutue pour foutue, autant continuer… » pensa-t-elle.

« Tu es genin ? » demanda Kaede, désireuse de continuer au plus vite la conversation.

« Quelque chose ne va pas ? » demanda Aiko en voyant le geste crispé de Kaede, qui jura intérieurement. Aiko ne devait pas particulièrement attendre de réponse, car elle continua à parler : « Je ne suis pas à Kiri depuis longtemps, ça doit être pour ça que l’on ne s’est jamais vue. C’est étonnant de ne pas croiser grand monde dans ce village pourtant si peuplé. Enfin, je suppose qu’à cette heure-ci, on rencontre bien moins de monde. Oui je suis effectivement un genin, depuis peu, quelques semaines tout au plus, et toi ? »

« Aucun souci, ne t’en fais pas » dit rapidement Kaede, espérant classer définitivement l’affaire de la « main sale ». « Je suis Genin aussi. Enfin, dans les faits c’es tplus compliqué que ça ! ».

Il y eut un blanc. Kaede n’avait qu’une question en tête, et elle était intimement persuadée qu’Aiko avait la même. Aussi se résolut-elle à demander :

« Tu fais quoi dehors à l’autre bout du village en pleine nuit, toi ? »

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